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Libération
à la barre

Procès Tapie : Maurice Lantourne tombe la robe

Après son ex-client Bernard Tapie, l'avocat était entendu ce jeudi par le tribunal correctionnel de Paris. En juriste averti, il a dénoncé incohérences procédurales et secret bancaire dans le maelström Adidas-Crédit lyonnais.
Maurice Lantourne, lundi devant le palais de justice de Paris. (Marc CHAUMEIL/Photo Marc Chaumeil pour Libération)
publié le 14 mars 2019 à 19h20

«Nous ne sommes pas là pour faire le procès de l'enquête pénale, mais pour juger l'affaire Tapie !» Nonobstant cette déclaration de principe, Maurice Lantourne ne s'est pas privé jeudi après-midi de refaire le match à son tour. Pour une fois, l'avocat de Bernard Tapie ne plaidait pas en robe, mais en civil sur le banc des prévenus, poursuivi comme son célèbre client pour escroquerie et détournement de fonds publics. Ce qui ne l'a pas empêché de marteler son credo juridique : «J'affirme et continue de penser qu'il y avait interdiction de se porter contrepartie.» Autrement dit, que le Crédit lyonnais aurait enfumé Tapie et non l'inverse, justifiant ainsi de colossaux dommages et intérêts – fut-ce via un arbitrage frelaté.

MLantourne a été entendu religieusement pendant plusieurs heures, sans que le tribunal ne daigne l'interrompre, ou que les parties civiles (l'Etat français, le CDR, héritier public des dossiers sensibles de la banque depuis privatisée) ou l'accusation (le parquet) ne se distinguent par une quelconque question gênante ou pertinente. Il a donc pu dérouler sa version du film sans la moindre contradiction. Cela change des précédentes auditions de Bernard Tapie, plus tonitruantes, polémiques et donc sujettes à contestation à la barre. L'homme d'affaires aura lui-même écouté sans broncher – quoiqu'en tapant frénétiquement des pieds – son ancien avocat, désormais coprévenu, résumer à sa façon l'embrouille.

404 millions de dommages et intérêts accordés en 2008

Sur le fond de l'achat-revente d'Adidas, il y a désormais un quart de siècle, MLantourne se dit sûr d'avoir malgré tout raison. En 2005, la cour d'appel de Paris lui avait donné gain de cause, accordant à son client 135 millions de dommages et intérêts. Après cassation, plus sur la forme que sur le fond, la justice ordinaire aurait pu suivre son cours naturel, avant que la sarkozie au pouvoir ne confie le litige à un arbitrage privé – avec le résultat que l'on sait : 404 millions de dommages et intérêts accordés en 2008, avant annulation de la sentence pour cause d'impartialité de l'un des arbitres, Pierre Estoup, également poursuivi pénalement.

Et pourtant, en 2015, la cour d'appel, reprenant la main et tranchant définitivement le litige en matière civile, n'accordera que l'euro symbolique à Bernard Tapie. Une misère. Pour cause de mise en examen dans le volet pénal, «j'ai regretté de ne pas avoir pu plaider devant elle», souligne MLantourne, à la barre du tribunal correctionnel de Paris. Fin connaisseur du dossier Adidas, mais aussi expert en manœuvres consulaires auprès des tribunaux de commerce, il estime que cette définitive défaite judiciaire de Tapie dans le litige Adidas (à l'euro symbolique près), serait le fruit d'une «jurisprudence inversée» pour les besoins de la cause, qui le «scandalise». Au cœur des débats, la nécessaire loyauté entre un banquier et son client, le mandaté et le mandataire.

Rémunérée 3,5 millions de francs

«C'est la première fois qu'une banque oppose le secret bancaire à l'un de ses propres clients», ironise-t-il, l'omerta bancaire étant proverbialement réservée au fisc ou à la concurrence. Mais pour la justice française, statuant au plan civil, Tapie ne pouvait pas ne pas savoir (les arrangements occultes visant à transférer le capital d'Adidas à des sociétés offshore, puis progressivement à l'homme d'affaires Robert Louis-Dreyfus). Donc il savait ! La preuve : Gilberte Beaux, femme d'affaires à qui Bernard Tapie avait confié les manettes d'Adidas, était au courant de tout. Sauf que cette dernière avait à l'époque été rémunérée 3,5 millions de francs par… le Crédit lyonnais afin de convaincre Tapie de signer l'acte de vente. Elle en conviendra finalement dans une attestation recueillie des années plus tard par Maurice Lantourne. «Et on m'accuse d'avoir alors commis un faux», s'indigne derechef ce dernier. La semaine prochaine, le tribunal correctionnel se penchera enfin sur le fond de l'affaire pénale : l'arbitrage de 2008.