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Libération
Reportage

Climat : le grand déballage national

Contre toute attente, la question du réchauffement planétaire et de son impact au niveau local a souvent émergé des discussions organisées par les pouvoirs publics en réponse au mouvement des gilets jaunes.
A Paris, samedi, dans le cortège de la «marche pour le climat et pour la justice sociale. (Photo Denis Allard )
publié le 17 mars 2019 à 20h36

A Carcassonne (Aude), deux animateurs d'un grand débat n'ont pas eu besoin de faire de grandes digressions, celles qui mènent à des contrées lointaines, pour raconter la planète grippée et fiévreuse. La dizaine de participants visualise très bien. Ça s'est passé là, tout près de chez eux. En octobre, la pluie a tué quinze personnes dans le coin, en a blessé dix fois plus et dévasté des maisons par centaines. Des gens déjà modestes ont tout perdu, un mois à peine après l'été et des chercheurs accusent le réchauffement climatique et ses effets. On a passé dix jours sur les routes du grand débat en février, et la transition écologique (l'un des quatre grands thèmes imposés par le gouvernement) a inspiré témoignages, questionnements et ressentis divers aux débatteurs.

Chapeau

Le décalage : le Français moyen, parfois à la marge géographiquement, est sommé de payer plus cher son carburant pour financer des mesures écolo alors que les richissimes compagnies aériennes qui parfument l’air de kérosène sont épargnées. Un vieil homme en Bourgogne penche pour une solution drastique de compensation, histoire de réveiller tout le monde au seau d’eau : faire cracher une somme à tous ceux qui voyagent dans les airs. Quand ils embarquent et quand ils descendent. Dans un registre tout aussi mondialisé, des quidams aux tempes grisonnantes, micro en main ici et là dans des salles municipales, décrivent les plaques d’immatriculation de camions étrangers qui arpentent les routes du pays. Pourquoi ne pas les taxer ? Et pourquoi ne pas développer le ferroutage ?

Sur le chemin, on a écouté des ruraux fulminer contre les puissants louant les bienfaits d’une vie plus verte, tout en fermant des services publics dans des zones reculées. Des hôpitaux, des gares, des écoles. Des bus se retrouvent à aller et revenir pour une poignée de gamins, cinq jours par semaine. Austérité et pollution seraient intimes ? A Gray (Haute-Saône), un agriculteur insiste sur cette époque formidable où l’Etat fait la promotion de la nourriture saine, tout en coupant au katana les aides dévolues au secteur bio. En parallèle, des entreprises se foutent de détruire la planète, assènent partout des militants politisés, parce que celles-ci dégainent un argument imparable : elles produisent de l’emploi, et pour un ventre vide, ça prend le pas sur tout.

Ils nous ont prévenus, il faut être costaud pour faire admettre à un démuni à l'agonie que l'écologie est une priorité. A La Chapelle-de-Guinchay (Saône-et-Loire), un retraité en chapeau en reprend un autre en casquette qui prédit l'apocalypse immédiate à cause des centrales nucléaires : «On savait les construire, on ne sait pas les démonter.» Le premier est pourtant sûr de son coup. Il y a plusieurs décennies, dans sa prime jeunesse, on parlait déjà de fin du monde, «et on est encore là».

L'introspection : à Wasquehal (Nord), un sosie de Pascal Obispo verrait, dans l'idéal, un système de navettes pour ramasser les employés de sa boîte tous les matins et leur éviter de faire tousser leurs véhicules sur les routes. «Mais ça obligerait forcément des collègues à se lever plus tôt. Est-ce qu'ils l'accepteraient ?» Il est circonspect. Jusqu'à preuve du contraire, la philosophie reine reste le chacun pour sa pomme.

Plaids

La lutte se joue forcément à petite échelle, défendent des Français, mettons classe moyenne ou bourgeoise. On pourrait ainsi remplacer les lampes chauffantes des cafés par des plaids et pour les quatre-roues, se battre pour l’énergie hydraulique. Consommer des produits locaux aussi, quitte à payer plus. Des bonnes âmes jurent qu’elles seraient prêtes à utiliser leur vélo plus souvent. Simplement, la France (on parle du territoire dans son ensemble, pas seulement des grandes métropoles) ne dorlote pas ses cyclistes. Elles chantonnent en chœur que par endroits, pédaler revient à risquer sa peau.

A Wasquehal, la petite assemblée est tombée d'accord. L'écologie touche à tout et nécessite une révolution totale, du système économique à l'éducation. A la fin des discussions, le sosie d'Obispo a évoqué le réchauffement climatique, sur le mode «le Français moyen ne voit pas toujours à quoi ça correspond». Une dame lui a répondu que Carcassonne n'était pas si loin.