En partie éclipsé par les heurts entre policiers et gilets jaunes sur les Champs-Elysées, le cortège de la «Marche du siècle» n'a pas à rougir de son samedi après-midi. Sous un beau soleil de printemps, elle a réuni, selon le décompte indépendant d'Occurrence pour plusieurs médias, dont Libération, 45 000 personnes à Paris (25 000 selon la police, 107 000 selon les organisateurs), rassemblées pour réclamer que la lutte contre le réchauffement climatique, jugée très insuffisante, devienne la priorité de la politique du gouvernement. Plusieurs cortèges aux mots d'ordre différents se sont ainsi rejoints devant l'Opéra Garnier pour ensuite gagner la place de la République.
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C’est lorsque les différents mouvements ont convergé place de l’Opéra, vers 14 heures, que la manifestation a pris toute son ampleur. A la «Marche pour le climat et la justice sociale» partie du Trocadéro avec de nombreux gilets jaunes, se sont alors agrégés un cortège centré sur la biodiversité (parti du parc Monceau), la «Marche des solidarités» partie de la Madeleine, et de nombreux citoyens concernés par le climat, parfois étonnés mais globalement intéressés par la diversité des messages.
Manière de consommer
Fanfares, déguisements de panda, de dinosaures ou de lamas, et pancartes à foison. Aux messages écolos traditionnels - «les calottes sont cuites», «pas de climat, pas de chocolat» - s'ajoutaient d'autres slogans sociaux : «mêmes coupables, même combat», «faire payer les pollueurs, pas les consommateurs». «Plus chauds que le climat», les lycéens et les étudiants qui avaient manifesté la veille étaient cette fois encore au rendez-vous pour rappeler, comme Elodie, 16 ans, que les rejets de gaz à effet de serre continuent d'augmenter (de plus de 2 % en 2018 selon le Global Carbon Project) et qu'«il faut stopper le réchauffement, sinon on ne pourra plus vivre sur la planète d'ici vingt ans». C'est aussi ce qu'affirme Aurore, qui est en classe préparatoire biologie. Elle rappelle que les écosystèmes s'effondrent et appelle à «changer d'économie et de façons de consommer». Jérôme, climatologue, résume l'état d'esprit des manifestants : «On a les preuves de l'influence humaine sur le climat. Et alors qu'on sait que les conséquences ne sont pas drôles, personne ne bouge malgré les accords internationaux.» Symbole de la bonne ambiance de la marche, un bus de «rave pour le climat» rassemblant de nombreux collectifs de la nuit attendait les manifestants sur la place pour accompagner les cortèges avec des basses de musique techno entrecoupées de messages sur l'urgence environnementale. Lionel Bensemoun, qui a porté ce projet avec le mouvement Give a Fuck (avec message laconique sur le bus : «If we don't give a fuck, we're fucked» - «si on n'en a rien à foutre, on est niqués»), explique avoir voulu aider le mouvement climat à mobiliser. «Maintenant, on doit faire attention, changer notre manière de consommer et faire en sorte que l'Etat se bouge.»
Non loin des baffles qui font danser Yannis, 35 ans, et sa pancarte «Augmentez les décibels, pas le CO2», la manifestation rassemble aussi bon nombre de personnalités. Les actrices Marion Cotillard et Juliette Binoche, notamment. Et des politiques désormais écolocentrés. Tout juste ralliée par le PS pour les prochaines européennes, la tête de liste Raphaël Glucksmann (du mouvement Place publique) s'affiche au côté du premier secrétaire socialiste, Olivier Faure. Benoît Hamon est là aussi, tout comme la mairie de Paris, Anne Hidalgo, et David Cormand, le patron d'EE-LV.
Mobilisation convergente
Croisée dans les cortèges, Antoinette Guhl, adjointe à la mairie de Paris et candidate écologiste aux élections municipales avec Julien Bayou, se réjouit de la réussite de la marche («l'heure de l'environnement est venue») alors que son parti «a toujours porté un programme écologiste qui défend à la fois l'environnement et les plus démunis». Comme la plupart des manifestants, elle dénonce les violences du jour, tout en affirmant qu'«il y a des revendications pour une justice fiscale qui ne peuvent que s'entendre».
Dès la fin de matinée, place du Trocadéro, le mot d'ordre était celui d'une mobilisation convergente, luttant en même temps contre le changement climatique et la crise sociale. «La cause de la destruction des écosystèmes et des inégalités se trouve dans ce système financier, qui ne vise que les profits rapides en mettant de côté les populations et les écosystèmes», affirme à Libération le réalisateur et militant écologiste Cyril Dion, qui ajoute : «Face au climat, on a des études à n'en plus finir, on sait. Il ne faut plus débattre mais avancer.»
Pour symboliser cette dynamique, se trouvait aux côtés des acteurs associatifs le gilet jaune François Boulo, pour qui le mouvement climatique et celui des gilets jaunes «convergent sur le fond, car nous ne ferons pas l'impérieuse transition écologique sans plus de partage de richesses, de justice fiscale» et de démocratie. Un constat partagé par les manifestants présents, rassemblés derrière le mot d'ordre «fin du monde, fin du mois, même combat» et vêtus pour nombre d'entre eux de jaune. La Marche des solidarités» contre les violences policières et pour les droits des sans-papiers, également de la partie, symbolisait également cette convergence. Un de ses organisateurs, Denis Godard, explique à Libération qu'à ses yeux aussi, «la justice climatique est liée à la justice sociale».
Mais pour de nombreux gilets jaunes présents, une fois la convergence acceptée par principe, les difficultés sociales restent la priorité. La taxe carbone ? Pour Julien, aide-soignant dans l'Essonne et gilet jaune depuis dix-sept semaines, «le problème, c'est l'injustice de cette taxe qui vise ceux qui prennent leur voiture et laisse de côté une oligarchie qui nous pollue et nous assassine avec ses bateaux et ses avions». Certains écolos préfèrent au contraire souligner que «la disparition de la planète touchera tout le monde».
Hugo, 15 ans, uniforme de scout et tigre en peluche géant sur les épaules, estime même que c'est «un peu dommage que l'on soit ensemble alors qu'on n'a pas les mêmes objectifs. Nous voulons moins de pétrole alors que les gilets jaunes veulent une baisse des prix du carburant». Malgré ces réticences, Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace, voit positivement ce premier pas : «Les choses sont en train de se faire sans se précipiter. C'est quand même la première fois depuis longtemps qu'il y a un mouvement de cette ampleur qui allie des messages environnementaux et sociaux, même si, évidemment, tous ne sont pas communs.»