Alors qu'à l'autre bout de la capitale des dizaines de milliers de personnes marchaient dans le calme pour appeler à des mesures en faveur du climat, c'est un vent violent et jaune qui a soufflé samedi sur la plus belle avenue du monde. Cinglant les façades des boutiques de luxe, attisant les flammes qui léchaient les symboles du capitalisme, il a ravivé les braises d'une colère que les plus jupitériens avaient voulu croire contenue, à défaut d'être éteinte. Ecourtant son escapade enneigée, Emmanuel Macron a tenu à constater de ses yeux le saccage des Champs-Elysées, transformés en champ de bataille après les affrontements qui ont opposé toute la journée gilets jaunes et casseurs aux forces de l'ordre. «Nous n'y sommes pas», a-t-il réprimandé à Beauvau, demandant des «décisions fortes, complémentaires» pour éviter les accès de rage de la rue. Oui, mais lesquelles, chef ? Mobilisation massive de la force publique, adaptations successives de la doctrine du maintien de l'ordre, nouvelles armes, et même quelques aménagements législatifs… On voit mal ce qu'Edouard Philippe et ses ministres pourraient imaginer qu'ils n'ont déjà fait. En se focalisant sur les actes de violence, certes inacceptables et que rien ne saurait justifier, la parole présidentielle se trompe de voie. A ce stade avancé, enkysté, de la crise sociale et politique, le retour à l'apaisement, nécessaire condition de la reprise d'un dialogue constructif, ne passera pas par une réponse sécuritaire et des coups de menton. Les 10 milliards de mesures en faveur du pouvoir d'achat et le grand débat national ont pu convaincre certains, mais les plus investis dans la lutte engagée pour davantage de justice sociale et fiscale sont depuis longtemps sourds à toute parole présidentielle. Eux aussi disent attendre des actes forts et complémentaires, seuls à même d'apaiser leur colère et de leur donner à nouveau envie de faire corps avec la République. Après dix-huit semaines de mobilisation, leur constat ne change pas : «Nous n'y sommes pas.»
EDITORIAL
Rage
publié le 17 mars 2019 à 20h56
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