Qui n'est jamais resté bloqué devant sa poubelle jaune, emballage à la main, l'impression d'avoir raté son bac+5 en tri des déchets ? Les Français, surtout les urbains, sont encore loin d'être les champions du recyclage, perdus par des consignes parfois complexes. Heureusement, les centres de tri se modernisent peu à peu. Plus ils élargissent la palette de déchets récupérables, plus le geste du citoyen devient simple en amont.
Début janvier, à Paris, le message est devenu beaucoup plus clair pour 2 millions d'habitants : tous les emballages et papiers se trient. La capitale fait désormais partie des villes dites en «extension des consignes de tri». Avant, seuls les plastiques solides de type bidon de lessive, flacons et bouteilles d'eau, les emballages métalliques (canettes, boîtes de conserve) ainsi que les emballages carton et le papier étaient acceptés. Maintenant, on peut ajouter tous les plastiques souples (sachets des légumes congelés, film alimentaire…), les boîtes à œufs, les pots de yaourt et même les capsules de machine à café.
4 kilos d’emballages en plus
Comment les centres de tri se sont-ils adaptés à ces poubelles plus mélangées ? Pour le savoir, Libération s'est rendu à celui de Sevran (Seine-Saint-Denis). Le site ne reçoit pas les déchets de la capitale mais il a été un des premiers d'Ile-de-France à s'adapter, à partir de 2012, pour recevoir une plus grande variété de déchets recyclables. Situé au beau milieu d'une zone pavillonnaire, il réceptionne le contenu des bacs jaunes de 555 000 habitants répartis sur seize communes environnantes. De 2011 à 2017, le poids annuel trié par les usagers a augmenté de 17%. «De manière générale, élargir le tri permet de récupérer 4 kilos supplémentaires d'emballages par personne et par an. Pour moitié, ce sont des matériaux que l'on acceptait déjà avant, l'autre moitié correspond aux nouveaux», détaille Sylvie Mariaud, chargée de mission Syctom, syndicat mixte chargé de traiter les déchets de 85 communes de l'agglomération parisienne. L'usine appartient au Syctom, mais la gestion est déléguée au groupe iHol depuis 2014.
Photo Cha Gonzalez. Agence Le Journal pour Libération
A l'entrée du site, tout camion a droit à sa pesée pour calculer ce qu'il a dans le ventre. Chaque semaine, 400 tonnes de collecte sélective sont déversées au niveau du quai de déchargement, sous hangar. Pas besoin de rincer les emballages, alors forcément les petits résidus d'aliments embaument l'air. Bouteilles de lait et compagnie sont ensuite transportées par un tapis roulant qui grimpe jusqu'au premier étage du bâtiment où s'enchevêtrent les rampes de tri. «C'est bruyant et poussiéreux», avertit le responsable d'exploitation Frédéric Fontana, casque sur la tête et gilet jaune de rigueur sur les épaules.
Deux équipes de douze personnes, payées au smic, s'y relaient de 6h30 à 21h30 du lundi au vendredi. Elles se positionnent au début et à la fin du processus. Au fil des modernisations, le nombre d'employés n'a pas changé, mais les missions ont évolué. Fini le tri de tous les déchets à la main, c'est désormais le rôle des machines. «Nous avons réorienté le travail. Aujourd'hui, les employés font du contrôle qualité car les machines ne sont pas à 100% fiables. Il y a une notion d'expertise, c'est plus valorisant», estime Frédéric Fontana. «Cela reste un travail compliqué», ajoute Cyrille Derouet, ingénieur de la direction recyclage et transport alternatif du Syctom.
Photo Cha Gonzalez. Agence Le Journal pour Libération
Trieurs optiques
En début de parcours, les déchets atterrissent dans la cabine de pré-tri. Quatre agents sont disposés de part et d'autre du tapis qui traverse la petite salle vitrée. Pas le temps de vider les sacs remplis d'emballages, c'est pourquoi il est demandé aux citoyens de tout mettre en vrac. Les agents font du «picking» : ils mettent à part les objets trop gros, susceptibles d'endommager les machines, et éliminent les intrus. Ce jour-là, au milieu des déchets, défile un sac à main noir luisant. Il est glissé dans la trappe «refus». Cette fois-ci, pas de boules de pétanque, de poêle à frire ou encore de barre de fer. Ça arrive, mais c'est anecdotique. Le bac jaune, c'est pour les emballages. Et en bonus, on y ajoute le carton et le papier. Point. «C'est peut-être un problème de communication à la base mais l'usager entend "acier, plastique, papier". Or c'est emballage en acier, emballage plastique, emballage papier», appuie Cyrille Derouet. Autre fléau des centres de tri : les contenants imbriqués les uns dans les autres. Cela peut nuire à l'étape suivante, le tri par les machines. Qui séparent «corps creux» (canettes, bouteilles, pots de yaourt…) et «corps plats» (cartonnettes, papiers).
Photo Cha Gonzalez. Agence Le Journal pour Libération
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Ensuite, les trieurs optiques prennent le relais. A Sevran, leur nombre a été poussé jusqu'à cinq pour pouvoir trier davantage de matériaux. Toute modification implique de revoir l'ensemble de la chaîne. «Ajouter un trieur, c'est changer une dizaine de tapis», détaille Frédéric Fontana. Sur les tapis qui roulent à grande vitesse, les emballages passent sous des sortes de lasers. Ils devinent leur composition en fonction de la façon dont la matière réfléchit la lumière. Quelques centimètres plus loin, des buses soufflent de l'air à chaque passage d'objet. Une bouteille d'eau saute et va rejoindre la ligne du plastique clair, le plastique foncé part d'un autre côté, les briques rejoignent leurs semblables… Les objets métalliques, eux, sont captés par une machine à champ magnétique. Pour les emballages non identifiés, c'est retour à la case départ, en début de circuit.
Emballages complexes
En bout de course, dans une deuxième cabine, huit personnes vérifient une partie du travail des machines. Elles s'affairent le long de quatre tapis : un pour les journaux-revues-magazines, un pour les cartons, un pour les cartonnettes, et un dernier où défilent par intermittence quatre différents types de plastique. Sous leurs pieds, au rez-de-chaussée, chaque matière triée patiente dans son alvéole. Le tout est enfin pressé pour former des balles de plus d'une tonne. Reste à les acheminer dans des filières de recyclage spécifiques.
Les films plastique partiront dans une usine de recyclage nouvelle génération à Châlons-en-Champagne (Marne), les différents papiers et cartons iront dans différentes papeteries… Seul le métallique est regroupé par paquets de 25 kilos. L'acier prend la direction d'ArcelorMittal à Dunkerque (Nord). Et les capsules de George Clooney ? Ici, pas de système pour capter le petit aluminium, alors ça va au refus. Dans le centre situé à Nanterre (Hauts-de-Seine), et qui traite Paris, c'est bien trié, nous assure-t-on. Là-bas, le taux de recyclage atteint 78%, contre 68,6% pour le site de tri de Sevran. «Il est préférable qu'un maximum d'emballages passe par chez nous, même s'il faut renvoyer une partie en incinération. On s'en débrouille», assure Sylvie Mariaud. Elle le martèle : il faut dire aux consommateurs de «ne plus réfléchir», histoire qu'ils remplissent davantage leurs bacs jaunes.
Photo Cha Gonzalez. Agence Le Journal pour Libération
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Le paquet de chips qu'on y a glissé, justement, où est-il passé ? «Mauvais exemple», murmure l'un nos interlocuteurs. Composés de plastique et d'une fine couche d'aluminium, il est un véritable casse-tête pour les recycleurs. C'est de manière générale le problème de tous les emballages complexes. Exemple : le gobelet en carton, recouvert d'une pellicule plastique à l'intérieur. «Il faut réfléchir à la chaîne de bout en bout. Mettre sur le marché des choses non recyclables n'est pas logique», tacle prudemment Sylvie Mariaud. C'est justement un des points du pacte conclu fin février entre le gouvernement et des géants de la grande distribution. Ces derniers se sont engagés à ne plus concevoir d'emballages plastique qui ne soient pas réutilisables, recyclables ou compostables d'ici 2025. Encore six ans à patienter. A moins de passer au zéro déchet.