Un début de bouillonnement. A un an de la bataille de Paris, la droite ne pointe plus aux abonnés absents. En un mois, pas moins de trois conseillers de Paris issus de ses rangs ont officialisé leur ambition de déloger la socialiste Anne Hidalgo de l'hôtel de ville l'an prochain. Pour le premier, Pierre-Yves Bournazel, c'était rompre un secret de polichinelle : depuis l'été, le député Agir (la droite Macron-compatible) du XVIIIe arrondissement semait les petits cailloux de sa candidature, entre bilan critique du mandat en cours et recueil de ses propositions environnementales pour la capitale. Le deuxième, Jean-Pierre Lecoq, a pris son petit monde de court. Pour cause : même s'il est maire (RPR, UMP puis LR) du VIe arrondissement depuis un quart de siècle, il reste un quasi-inconnu hors des frontières de son très chic secteur. La dernière, Rachida Dati, a dit très tôt qu'elle se lancerait, sans jamais être crue. Pour que son ambition soit prise au sérieux, il a fallu que la maire du VIIe renonce à briguer un nouveau mandat de députée européenne… Testée dans les sondages depuis la rentrée, la présidente du groupe Républicains et indépendants au Conseil de Paris, Florence Berthout, affirme quant à elle ne pas être sur la ligne de départ. Vendredi, elle devrait seulement annoncer son intention de briguer un nouveau mandat de maire du Ve.
Si les trois prétendants déclarés s'observent, c'est en chiens de faïence, leurs stratégies respectives ne supposant pas de confrontation immédiate. D'investiture partisane, Bournazel ne veut pas entendre parler, son leitmotiv de campagne étant de «dépasser les clivages» pour mieux rassembler les électeurs. Et cela au risque d'être pris en sandwich entre LREM et LR, même s'il a la sympathie de plusieurs barons de la droite parisienne.
Pour Laurent Wauquiez, patron de LR, pas question d'adouber une tête de liste non encartée. Il appartiendra donc à la commission nationale d'investiture (CNI) de désigner à l'automne un champion à la hauteur de son attente. Message reçu 5 sur 5 par Dati, qui clame urbi et orbi que «la droite peut gagner sur ses idées sans renier ce qu'elle est ou masquer son appartenance politique». Du coup, les élus parisiens ont les deux pieds sur le frein. «La plupart de nos neuf maires d'arrondissement considèrent que la tête de liste de LR à Paris doit faire l'objet d'une cooptation collective, explique Florence Berthout. Il n'y aurait rien de pire qu'une CNI qui validerait un choix qui n'est pas porté par le collectif des élus.» Pour Lecoq, l'urgence est ailleurs : fédérer une équipe autour d'un projet sans chercher à trop personnaliser. A l'issue du premier tour, il sera grand temps, assure-t-il, de sceller les alliances et de se ranger derrière l'élu le mieux placé : «Si on attend le verdict de la CNI, la personne désignée se retrouvera au pied de l'Everest avec tout à construire. On ne peut gagner si on ne rassemble pas au-delà de LR.»
A la fédération LR de Paris, on se veut rassurant. «Après les européennes, on validera notre projet. La question du leadership viendra plus tard, tempère Geoffroy Boulard, secrétaire départemental. Il faut que tout cela mûrisse.» Nombre de barons LR tablent sur des «surprises» de nature à mettre tout le monde d'accord à Paris, comme une entrée en lice d'Edouard Phillippe après les européennes. Le Premier ministre peut bien répéter qu'il n'y songe pas, à droite, le rêve a la vie dure.
Pierre-Yves Bournazel : le rassembleur proche d’Edouard Philippe
«On a mis la librairie en rupture de stock, c'est une bonne nouvelle !» Mercredi dernier, face à la petite centaine d'invités qui se presse dans l'arrière-salle de la Bonne Franquette, Pierre-Yves Bournazel exulte. Nombre de ses amis de la droite parisienne, toutes chapelles confondues, ont grimpé en haut de la butte Montmartre pour assister à la première séance de dédicaces de son livre programme, Revoir Paris (Fayard). Comme autant de témoignages de sympathie pour l'ambition désormais officielle du député du XVIIIe arrondissement, puissance invitante, d'être «le prochain maire de Paris». Il y a là la sénatrice Fabienne Keller, cofondatrice d'Agir, ce refuge de la droite macro-compatible que «PYB» a rejoint peu après sa victoire aux législatives. Mais aussi la vieille garde du parti Les Républicains, ces élus des beaux quartiers de Paris comme le député Claude Goasguen, les sénateurs Pierre Charon et Catherine Dumas, ou encore l'indéboulonnable maire du Ier arrondissement, Jean-François Legaret… Ceux-là mêmes qui, début décembre, avaient tenté de convaincre Laurent Wauquiez de construire une offre municipale sous la houlette du quadra proche d'Edouard Philippe. En vain.
C'est que Bournazel exclut de reprendre sa carte à LR, ce qui est un casus belli pour l'équipe Wauquiez. Pour l'ancien porte-parole de Françoise de Panafieu (candidate de la droite en 2008), bien avant d'être celui d'Alain Juppé lors de la primaire de la droite de 2016, le temps est venu de s'affranchir des logiques partisanes. Dix ans à siéger sur les bancs de l'opposition au Conseil de Paris l'ont convaincu de la nécessité de «rassembler au-delà des clivages» pour déboulonner Hidalgo. En clair, de fédérer toutes les sensibilités «de la droite au centre gauche» plus que d'être le champion d'une seule. Le chiraquien de cœur, natif de Riom-ès-Montagne (Cantal) et diplômé de Sciences-Po Toulouse, rappelle donc volontiers qu'il a voté avec la gauche pour le Vélib, le tramway et le pacs…
La stratégie le pousse à l’œcuménisme, la tactique lui commande l’indépendance. En 2013, Bournazel, qui convoitait déjà le fauteuil de maire de Paris, avait dû s’effacer face à l’ex-ministre Nathalie Kosciusko-Morizet à l’issue de la primaire organisée par l’UMP. La faute à son âge, mais surtout à un déficit de notoriété. Six ans plus tard, «PYB» n’entend laisser personne le priver de sa chance.
Jean-Pierre Lecoq, à Paris le 13 mars. Photo Vincent isore. IP3
Jean-Pierre Lecoq : l’oublié du VIe arrondissement
La rive gauche, entre le Pont Neuf et le jardin du Luxembourg, c'est un peu chez lui. Jean-Pierre Lecoq connaît son VIe arrondissement comme sa poche : il a grandi rue de Rennes, étudié au lycée Montaigne rue Auguste-Comte avant d'emmenager rue Saint-Placide puis de partir rue de Sèvres. Si aujourd'hui, il est domicilié dans le XVe, il n'y a en réalité que 20 mètres qui le séparent de son quartier d'origine, à une rue d'écart. Le bureau de maire du VIe qu'il occupe depuis vingt-quatre ans donne sur l'église Saint-Sulpice, cœur de cet arrondissement parmi les plus huppés et les moins peuplés (45 000 habitants).
Membre du RPR, de l'UMP et aujourd'hui de LR, Lecoq est longtemps resté à l'écart des jeux d'appareil. Sa carrière de financier au Crédit national (devenu Natixis) ne lui en laissait pas le loisir. Il a failli le regretter une fois, en 2001, quand sa formation lui a refusé l'investiture pour les municipales. «C'était un guet-apens, se souvient-il. Je me suis présenté en dissident, encadré par une liste Séguin et une liste Tiberi. Finalement, j'ai été élu avec près de 56 % des suffrages. Dans l'affaire, j'ai gagné ma liberté.»
Depuis, son camp ne lui a plus cherché de noises jusqu'à presque l'oublier. Le 17 février, quand Lecoq a dévoilé son ambition de conduire la liste LR à Paris, beaucoup sont donc tombés des nues. Seuls Wauquiez, par le biais d'une lettre entre Noël et jour de l'An, et les deux premiers responsables de la fédération LR à Paris, Agnès Evren et Geoffroy Boulard, ont été avertis. «Il fait sans doute ça pour exister, balaye un conseiller de Paris. En tant que maire du VIe, il n'est pas en position de force. Et puis il en est à son quatrième mandat…»
Lecoq, qui compte rempiler dans le VIe, ne retient qu'un seul handicap : son «déficit de notoriété». «C'est une aventure compliquée, admet l'édile désormais retraité. Est-ce que je serai premier de cordée ? L'avenir le dira. Mais on ne peut gagner que dans le cadre d'une grande alliance, et je veux en être un artisan.»
Rachida Dati, à Paris le 23 novembre 2015. Photo Albert Facelly
Rachida Dati : la revancharde négligée des siens
Rachida Dati affectionne le style direct : «A Paris, tout se jouera au second tour et, comme Sarkozy, je suis dans la «fracasserie». Alors je fracasse.» Reste qu'à 53 ans, la maire du VIIe arrondissement peine à se faire entendre des siens. Les barons de la droite parisienne font peu de cas de ses appels du pied à répétition. Dès le 26 octobre, l'ex-ministre de la justice sarkozyste avait confié sur RTL son intérêt pour la capitale. Sans trouver le moindre écho.
Réunis par Laurent Wauquiez début décembre pour évoquer la future bataille de Paris, les élus LR de la ville n'ont pas songé à citer son nom comme possible tête de liste malgré l'absence manifeste d'autres vocations déclarées en interne… Le 2 février, l'entretien que Dati accorde au Parisien ressemble donc à une piqûre de rappel. Elle répète qu'elle est « intéressée par une candidature à la mairie de Paris», mais cela n'a guère plus de retentissement. La vieille garde de LR n'y lit qu'une énième manœuvre de l'éruptive édile pour décrocher une place éligible sur la liste LR aux européennes du 26 mai.
Il faut attendre le 5 mars et l'entretien bazooka que Rachida Dati accorde au Figaro pour qu'enfin son message passe. Même certaine d'être réélue au Parlement de Strasbourg avec sa huitième place sur la liste Les Républicains, la députée européenne renonce à briguer un troisième mandat. Surtout, celle qui, par le passé, n'a pas brillé par son assiduité au conseil municipal de la capitale martèle que «[s]on choix, c'est Paris». Pour elle, c'est une forme de revanche. En 2013, opposée à Nathalie Kosciusko-Morizet lors de la primaire organisée par l'UMP, elle avait jeté l'éponge au bout de trois semaines, faute de soutiens.
Pour beaucoup d'élus Les Républicains, c'est surtout la tuile : vu sa forte notoriété, Rachida Dati a des chances d'avoir gain de cause. D'autant que la fille de maçon marocain au tempérament bien trempé fait partie des rares élus de droite à pouvoir se faire entendre dans les quartiers populaires de l'Est parisien sans affoler l'électorat conservateur de l'ouest de la capitale. A condition, toutefois, de rassembler, en premier lieu, les siens. Et là, chez LR, on a de gros doutes. Les critiques fusent : trop individualiste pour les uns, trop clivante pour les autres. «Si Dati est investie, pensez-vous que tous les maires LR sortants revendiqueront leur étiquette ?» avertit l'un d'eux. Ambiance.