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En 2018, Free en pleine crise d'abos

Habitué à croître, l'opérateur télécoms de Xavier Niel a perdu 350 000 abonnés dans le fixe et le mobile l'an dernier. Il se dit cependant tout proche du «rebond».
Xavier Niel, en 2015. (Lionel Préau. Riva Press)
publié le 19 mars 2019 à 17h57

Il est toujours amusant de voir une grande entreprise déployer des trésors de communication pour tenter de faire passer de mauvais résultats. A Iliad, la maison mère de l'opérateur de télécommunications Free, on parle de 2018 comme d'une «année de transformation». Elle «restera comme une année importante dans l'histoire du groupe», analyse le directeur général, Thomas Reynaud, qui prophétise «le début d'un nouveau cycle de croissance». A l'écouter, la société est en plein «rebond», dont on mesurera les effets à la fin du premier semestre 2019. On verra l'été prochain si la promesse se réalise.

En attendant, on est bien obligé de regarder les chiffres de 2018, publiés ce mardi, et de constater que la métamorphose a été plus douloureuse que le discours officiel ne le laisse présager. L'an passé, Free a perdu 254 000 abonnés dans le mobile, pour tomber à 13,4 millions, et 93 000 dans l'Internet fixe, son point fort historique, pour atterrir à 6,4 millions. En marge d'une autre conférence de presse il y a quelques jours, dans un couloir, le même Thomas Reynaud nous avait parlé de «crise commerciale» avant de se reprendre. L'expression sonnait plus juste. Les revenus de Free en France (4,8 milliards d'euros en 2018) ont baissé, perdant 1,9%. Quant au résultat net, il a plongé de 18,5% pour n'être plus que de 330 millions d'euros. Le ratio d'endettement a lui aussi augmenté de façon conséquente. Jamais une bonne nouvelle dans l'industrie des télécoms, où l'exigence d'investissement est importante : il y a des réseaux de 4G, de fibre optique et bientôt de 5G à construire. «Je suis inquiet pour eux», commente auprès de Libération un concurrent. Tu parles : les rivaux ont dû déboucher le champagne au petit-déjeuner. Depuis le temps qu'ils rêvaient de voir l'insolent se prendre les pieds dans le tapis…

Action divisée par deux

L'opérateur détenu par Xavier Niel — qui ne s'est pas montré à la présentation à la presse des résultats — n'avait pas habitué le marché à une telle décroissance. C'est même tout le contraire. Il était celui qui piquait des clients aux autres et qui, par sa fulgurante progression, a bien failli envoyer Bouygues Telecom, puis SFR (propriétaire de Libération), dans le mur il y a peu. Mais les arbres ne montent pas au ciel, dit-on souvent dans le business. Les investisseurs boursiers se sont détournés : en un an, la valeur de l'action Iliad a été divisée par deux, chutant à 90 euros. Voilà comment Xavier Niel, qui possède un peu plus de 50% du capital de la boîte, a vu s'envoler 2,5 milliards d'euros de fortune. Pauvre de lui.

Est-ce la fin du rêve pour les petits actionnaires, qui ont vu leurs économies placées dans Iliad fleurir en de gros portefeuilles ces quinze dernières années ? «Des difficultés ? il faut relativiser, tempère Thomas Reynaud, qui a pris les commandes de l'opérateur l'an dernier (un signe qui ne trompe pas). On n'est pas satisfaits mais on n'a pas commis d'erreur stratégique. On a une marge d'Ebitda de 38%.» Cet indicateur financier, qui mesure la rentabilité d'exploitation, a d'ailleurs augmenté sur l'activité française : 1,8 milliard d'euros en 2018, ça permet de voir venir. Le directeur général de Free explique avoir subi les effets de la guerre des prix dans les télécoms, marché sur lequel Bouygues et surtout SFR ont multiplié les promotions. A vrai dire, Free n'a pas été en reste, mais a apparemment moins convaincu les chasseurs de réductions. «On a perdu des abonnés à deux euros dans le mobile et des abonnés en fin de promo sur le fixe», assure Thomas Reynaud. C'est-à-dire des clients peu rémunérateurs.

Box à 60 euros par mois

Historiquement, l'opérateur s'est toujours positionné comme le mieux-disant sur le plan tarifaire, celui qui casse les prix (l'époque «Il a Free, il a tout compris»). Mais, ayant conquis une base de 20 millions d'abonnés cumulés, il cherche désormais à faire payer ceux-là un peu plus chaque mois. L'objectif est de monter en gamme, en leur fournissant de la 4G et de la fibre optique, les réseaux technologiques qui s'imposent aujourd'hui. C'est là que se joue l'avenir des télécoms. Sur le front du très haut débit fixe, le segment le plus important, les nouvelles ne sont pas si mauvaises pour Free. L'opérateur comptait 983 000 abonnés à la fibre fin 2018, contre 556 000 un an plus tôt. Moins que le leader Orange (2,6 millions), très en avance, mais bien davantage que Bouygues (569 000). SFR publiera les siens fin mars (c'était 2,4 millions fin septembre 2018, dont une partie avec une terminaison câble et non fibre).

Iliad veut s'appuyer sur sa nouvelle box «Delta», lancée en décembre, pour pousser ses pions. L'objet, accessible au prix très élevé de 60 euros par mois, n'a plus rien à voir avec la boîte à Internet nommée «Freebox» qui, commercialisée à 30 euros par mois, a fait la fortune de Xavier Niel au début des années 2000. Le nouveau modèle intègre Netflix, un paquet de chaînes de Canal+, l'assistant vocal d'Amazon Alexa, une enceinte Devialet et d'autres services. Thomas Reynaud se félicite d'en avoir écoulé 100 000 en trois mois. Un «énorme succès» selon lui, mais qui laisse les marchés, on l'a vu, plutôt sceptiques. Cent mille, est-ce vraiment si énorme ?

Cap sur l’Italie

L'autre motif d'optimisme, qui structure le discours de «transformation», est le développement en Italie. Iliad y a lancé un opérateur mobile en 2018. En quelques mois, l'opérateur a recruté près de 3 millions d'abonnés. La contribution au chiffre d'affaires du groupe est modeste (125 millions d'euros l'an dernier), mais c'est une source de croissance potentielle importante. «On sait exactement où l'on veut être dans cinq ans, conclut Thomas Reynaud. 2018 sera vue comme une année charnière dans la construction du groupe.»