Un seul prévenu vous manque et tout un procès est dépeuplé. Pierre Estoup, 92 ans, l’un des trois arbitres ayant accordé en 2008 quelque 404 millions de dommages et intérêts à Bernard Tapie, montant ramené depuis à l’euro symbolique par la justice ordinaire, a fait un AVC le week-end dernier. Dès lors, le procès pénal de cet arbitrage douteux, jugé depuis dix jours devant le tribunal correctionnel, pourrait-il se poursuivre sans lui? Tempête sous les crânes de la justice française, qui a prudemment décidé mardi de botter en touche: une expertise médico-légale devra déterminer d’ici à la semaine prochaine si Estoup demeure apte à être jugé. En attendant, le procès continuera vaille que vaille.
«Son honneur, sa vie, exigent qu'il soit présent», à la barre, ont plaidé ses avocats. En off, lors d'une longue interruption d'audience, un autre avocat de la défense résumait le pataquès: «Il faudrait reporter le procès, mais ils ne voudront pas. C'est un truc de ouf!» Une autre robe noire, dans la même veine: «S'ils reportent le procès, ce sera sine die, vu son âge…»
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Pierre Estoup a pourtant des choses à dire au tribunal, notamment sur ses deux autres co-arbitres, Jean-Denis Bredin, grande figure de l'avocature, et Pierre Mazeaud, gaulliste historique, ancien président du Conseil constitutionnel, simples témoins assistés dans la procédure. Dans une longue note écrite, avant de devoir témoigner oralement à la barre, Estoup a déjà dit le fond de sa pensée: «Mes co-arbitres auraient dû faire état de faits sensiblement plus significatifs de leurs liens avec les parties, susceptibles de faire naître un doute sur leur impartialité […]. Ce qui traduit la volonté de m'imputer, à moi seul, une fraude.»
A cet ancien président de la Cour d’appel de Versailles, retraité actif reconverti dans les arbitrages privés, il est reproché d’avoir diligenté, entre 1999 et 2001, quatre arbitrages ou était présent l’avocat de Bernard Tapie, Maurice Lantourne, également renvoyé en correctionnelle - deux gagnés, deux perdus, match nul? Dans ses écritures, Estoup renvoie le compliment de partialité à Bredin, ancien avocat du Crédit lyonnais, et à Mazeaud, qui en tant que député avait voté la levée de l’immunité parlementaire de Tapie. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, le juge d’instruction Serge Tournaire aura refusé toute confrontation entre les trois arbitres. Elle aurait pu enfin avoir lieu à la barre du tribunal correctionnel - l’un comme prévenu, les deux autres comme témoins. Sauf que Bredin et Mazeaud, eux-mêmes nonagénaires d’ici trois mois, ne sont désormais guère plus flambants que Estoup. Du coup, le tribunal pourrait juger d’un arbitrage frelaté sans avoir entendu à la barre l’un ou l’autre des trois arbitres. Du risque de l’archéologie judiciaire, les faits initiaux remontants à un quart de siècle.
Bernard Tapie, 76 ans, tâche de faire bonne figure, nonobstant son cancer à l'estomac. Pierre Mazeaud réserve, à ce jour, son éventuel témoignage à la barre. Devant les enquêteurs, il avait déjà résumé son point de vue: «Vous pouvez penser que je suis un connard!» Et pour le reste, ce vieux con (grognard, pour les âmes sensibles) emmerde la terre entière.