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Libération
Récit

La mort prend Georges Courtois en otage

Célèbre pour avoir séquestré durant trente-quatre heures la cour d’assises de Nantes en 1985, le braqueur et écrivain public aura passé près de la moitié de sa vie en prison.
Pendant sa prise d’otages au palais de justice de Nantes, Georges Courtois (à droite) sort pour «promener un peu» le président de la cour d’assises, Dominique Bailhache. (Photo Pierre Gleizes. AP)
publié le 20 mars 2019 à 20h56

Il faut revoir cette séquence extraordinaire : un présentateur télé évoque, à l'antenne, son «dilemme». Un homme a pris en otage toute une cour d'assises et demande à la chaîne de le filmer. Changement de décor. Gros plan sur une grenade. Puis apparaît un type moustachu qui se plante devant les jurés : «Quel effet ça vous fait d'être venu pour juger un homme et d'être jugé à votre tour ?» Silence. «Très impressionnant», murmure une dame. Tel un conférencier en chemise bleue et veste grise, le preneur d'otages poursuit : «Notre but n'est pas de faire du mal à qui que ce soit, y compris vous, monsieur le président.» En l'occurrence, M. le président le fixe avec des yeux écarquillés comme des billes, visage pâle. «Y compris le procureur de la République», termine-t-il. Ce dernier acquiesce, crispé. Il faut dire que, juste derrière lui, se tient un autre homme silencieux, revolver dans une main, cigarette de l'autre. Son sweat-shirt gris parle pour lui : il y est inscrit «Action».

La scène, surréaliste, restera dans les annales judiciaires. Nous sommes le 19 décembre 1985. Celui qui s’exprime avec ce mélange de gouaille surannée et de flegme assuré s’appelle Georges Courtois. Jugé dans une affaire de braquage, il a sauté hors du box. Pendant trente-quatre heures, il va tenir une trentaine de personnes en joue et la France en haleine.

Trois décennies plus tard, le truand âgé de 71 ans s'est éteint dans les flammes. Ou plutôt juste avant qu'elles ne ravagent son appartement de Quimperlé (Finistère). Contactée par Libération, Marie-Noëlle Collobert, vice-procureure de la République de Quimper, explique : «Le décès n'est pas en lien avec l'incendie, c'est une mort naturelle, sans intervention extérieure.» Samedi, des habitants de la commune l'avaient aperçu vers 19 heures. Deux heures plus tard, les pompiers étaient appelés et découvraient son corps carbonisé. Son identité a été confirmée par le parquet mardi soir, mais les résultats de l'autopsie ne sont pas encore connus. C'est donc dans un petit appartement du Finistère - dont il était menacé d'expulsion à cause de dettes - que s'est terminée la vie d'un vieil enfant révolté, braqueur pour des clopinettes, gangster conteur (à moins que ce ne soit l'inverse). «Rebelle solitaire», ajoute Me Yvan Trebern, son avocat depuis les années 80. Et de supposer : «Ça ne m'étonnerait pas qu'il soit mort cigarette à la main. D'où l'incendie…»

«Stylo Montblanc»

Issu d'une famille ouvrière, Georges Courtois a grandi dans les bas-fonds de Nantes. Son père meurt à 39 ans après avoir chuté d'une grue. «Lui, chef de chantier qui passait son temps à me vanter les vertus du travail, y a de quoi vous gommer toute velléité laborieuse», ironisait-il dans un portrait que lui consacrait Libération en 1999. Celui qui se rêvait prof de français se tourne plutôt vers «un CAP délinquant». Il commence à 11 ans par quelques chapardages qui l'envoient en maison de correction. «Son séjour au Prado, à Bordeaux, a été déterminant. Les mômes étaient torturés dans une cellule pleine d'eau glacée. Il y a une espèce de révolte qui a germé à ce moment-là et que l'institution judiciaire ne va pas régler. Au contraire», analyse Me Trebern. La vie de Courtois se lit en pointillé, entre ombre carcérale et lumière littéraire.

Tout était peut-être déjà là, sur cette saisissante photo anthropométrique où il fixe l'objectif, une lueur de défi dans le regard. Autour du cou, il porte une ardoise avec cette date : 6 novembre 1965. Georges Courtois a 18 ans, il sort de la maison d'arrêt de Niort. C'est à cette époque qu'il fait la connaissance de Chantal, qui deviendra la mère de ses deux filles et partagera quarante ans de son existence. Celui qui «porte la prison en guise de veste» enchaîne la tournée des magasins. «Tu rentres, tu prends. Y a 300 000, c'est bien. Y a pas, tu pars. Et tu deviens jamais riche. Mieux vaut braquer au stylo Montblanc, comme Nanard [Bernard Tapie, ndlr], qu'au calibre», philosophait-il auprès de Libération.

Malgré tout, il reste plutôt du style porte-flingue que porte-plume. Et ne résiste pas à l’attrait de quelques châteaux quand il s’agit de trafiquer des meubles. En 1973, il est condamné à neuf ans d’emprisonnement. A la prison d’Angers, il caresse Perpète - son chat -, dessine, lit Baudelaire, Sartre et Nerval et passe une licence de droit.

Le détenu se lancera aussi dans une «carrière d'insulteur» : des lettres à ses juges qui s'apparentent davantage à du Audiard qu'à du Simenon. En 1974, il traite ainsi un procureur de «polichinelle à manches longues», de type «hypocrite, hargneux, menteur, vil, lâche, répugnant». Et encore, il «en passe». Le phrasé est ciselé, les tournures impeccables, sauf que, selon le code pénal, ça s'appelle «outrage à magistrat». Ce qui n'aide pas à faire baisser l'addition carcérale. Finalement, Georges Courtois quitte la taule par intervalle, un peu comme on prend l'air. Ça dure uniquement le temps d'une bouffée, deux ans maximum.

En décembre 1985, il comparaît aux côtés de Patrick Thiolet, 24 ans, pour le hold-up d'un Crédit agricole à Sucé-sur-Erdre (Loire-Atlantique). Le premier jour de son procès, l'accusé de 38 ans prévient la cour : «Messieurs, vous ne me condamnerez pas une nouvelle fois. Je vous le dis, la prison, c'est terminé pour moi.» Le deuxième, un de ses amis rencontré en taule, un certain Abdelkarim Khalki, 33 ans déboule armé d'un véritable arsenal. Tout s'emballe. Cigare aux lèvres, Georges Courtois braque son Magnum sur la tempe du président. Première revendication : que FR3 vienne filmer la prise d'otages. Il veut faire le procès de la justice, dresser un réquisitoire contre les prisons. Le voici en Ravachol dissertant sur l'engrenage des peines et la détresse carcérale. Avec son verbe furieux et sa poétique de l'angoisse, il met le monde judiciaire à l'envers. Il n'y a plus de robe noire, plus d'estrade, plus de juges. L'un des otages admettra : «Je ne dis pas qu'on les excuse, mais on les comprend. Sur la justice, la prison, Courtois nous a fait remettre beaucoup de choses en place.» Ironie du sort, avant de le défendre, Me Trebern sera l'avocat de plusieurs jurés et d'un journaliste présents dans la salle. Il se souvient : «Mes clients le trouvaient plutôt sympathique. Du coup, on les a accusés d'être victimes du syndrome de Stockholm.»

Georges Courtois, en 1965. Il a alors 18 ans. Photo DR

«Gros niqueur judiciaire»

A un moment, Georges Courtois sort «promener un peu» le président. Il en résulte cette image folle qui fera le tour du monde : clope au bec, un flingue dans chaque main, il se tient sur les marches du palais menotté à l'homme costard. Pendant ce temps-là, au bout du fil, Robert Broussard œuvre pour une reddition. Le superflic est à la tête du Raid, l'unité d'élite de la police qui a été créée deux mois plus tôt. C'est leur première intervention. Après vingt-quatre heures de palabres, l'équipée capitule sur le tarmac de l'aéroport de Nantes. «Je vous annonce que nous considérons cette affaire comme un demi-échec, c'est-à-dire comme un demi-succès», lance Georges Courtois depuis la voiture de police. Verdict du procès de 1988 : vingt ans de réclusion criminelle. A sa sortie en 1997, il semble cette fois décidé à troquer le calibre contre le stylo. Pas un Montblanc mais un Bic de chroniqueur judiciaire - ou plutôt «gros niqueur judiciaire» comme il aime se définir - pour la Lettre à Lulu, un journal satirique nantais. «Il était vraiment brillant, écrivait très bien, évoque son ami Eric Chalmel, directeur de publication et dessinateur de presse. Sa rubrique s'appelait la "Courtoisie de Palais", il y racontait le théâtre de la justice. Autant dire que les juges de Nantes étaient fous de rage…»

Néanmoins, en 2000, après un drame personnel, Courtois cesse de raconter d'autres vies judiciaires que la sienne. Il replonge : braquage de supérettes. «C'était une histoire de pieds nickelés, d'alcooliques. On aurait dit le film avec Coluche où les mecs mettent leurs cagoules à l'envers, estime Eric Chalmel. Mais la justice ne lui a jamais pardonné l'humiliation de la prise d'otage, il est reparti pour dix ans derrière les barreaux. Sa vraie carrière, c'est pas gangster, c'est prisonnier. Il a fait toutes les centrales de France.»

Georges Courtois devient écrivain public pour ses codétenus et commence à rédiger ses mémoires (1). Elles paraîtront en 2015, un an après à sa sortie de la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré. Agé de 68 ans, il en a passé la moitié à l'ombre. Cette fois, il est bien décidé à devenir «un paisible retraité», il part à Quimperlé où des amis lui ont dégoté un logement pas trop cher.

L'une de ses dernières apparitions médiatiques date de 2017, dans un documentaire d'Olivier Pighetti (2). Extrait mémorable : deux vieux messieurs aux cheveux blancs se retrouvent dans un hangar décati. Blouson de cuir pour l'un, costard pour l'autre. «Je suis content de te revoir, je te jure», dit un Georges Courtois à moitié édenté. «Ça change, au point de vue du lieu», répond Robert Broussard. L'œil qui frise, le voyou lui rappelle «l'anecdote la plus hilarante» : le 19 décembre 1985, la présentatrice du journal télévisé de TF1 était affublée d'oreilles de Mickey pour parler de la création de Disneyland quand on lui a soufflé dans l'oreillette qu'il fallait maintenant annoncer la prise d'otage de trente personnes… «C'est dingue quand même», se marre-t-il. Aujourd'hui, l'ancien palais de justice de Nantes est devenu un hôtel de luxe. On y sert le petit-déjeuner dans la cour d'assises.

(1) Aux marches du palais, mémoire d'un preneur d'otages, Le nouvel Attila.
(2) Prise d'otages en direct à la cour d'assises, 2017, 52 minutes.