On peut l'avoir douce ou dure, rebondie ou avachie, foncée ou claire. On peut avoir quelqu'un dans la peau, être à fleur de peau, jouer les peaux de vache ou… les vieilles peaux. Mais le plus sage, c'est sûrement de tenir à sa peau, vu l'incroyable engin dont il s'agit. Et c'est bien ce qu'on se dit en parcourant la grande expo que lui consacre le musée de l'Homme (avec L'Oréal et le Muséum d'histoire naturelle). L'occasion de fermer le clapet des obnubilés de la couleur : car oui, «nous sommes tous africains» et «les Blancs ne sont jamais que des Noirs décolorés», comme badine (pas tant que ça) André Delpuech, directeur du musée.
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Mais laissons ces questions de berceau originel de l'humanité et d'évolution pour rentrer dans le vif, en traversant la couche cornée (élément clé de la fonction de barrière), l'épiderme (d'une épaisseur qui va de 0,05 mm aux paupières à 1,5 mm d'épaisseur à la plante des pieds), le derme (composé à 80 % d'eau), l'hypoderme… qui protègent notre chair fraîche. Tout un monde, bien plus complexe qu'une simple question d'esthétique. Et surtout immense. La peau n'est rien d'autre que le plus étendu de nos organes. Soit une surface de 1,5 m2 à 2 m2, pour un poids qui oscille entre 3 et 5 kilos. Soit un époustouflant champ de recherches.
Anatomie d’une carrosserie
On la voit simple comme un drap protecteur, elle est pourtant d'une architecture complexe faite de multiples composants loin de se résumer aux strates qui vont de la cornée à l'hypoderme. La peau est le nid des poils (5 millions sur tout le corps, dont 1 million sur la tête). Elle abrite une incroyable armée de récepteurs sensoriels qui envoient des infos au cerveau le long des nerfs, comme autant de jauges du monde extérieur. Et voici 600 000 récepteurs du toucher (compter 2 300 terminaisons nerveuses par cm2 au niveau de la pulpe des doigts !) et au moins 200 000 thermorécepteurs sensibles à la température. De quoi appréhender si un objet est dur ou tendre, rugueux ou lisse, humide ou sec…
La peau sèche, l’un des quatre grands types de peau.
Photo L’Oréal R&I
A cela s’ajoutent les vaisseaux sanguins, glandes sébacées et sudoripares (2 à 5 millions sur le corps, qui permettent à un adulte au repos d’éliminer de 600 grammes à 1 kilo de sueur par jour, 10 kilos journaliers en cas de travail musculaire…), les sentinelles de l’immunité que sont les cellules de Langerhans, etc. Chapeau la peau ? Oui. Grâce à son film hydrolipidique en surface et son effet déperlant, nous pouvons prendre une douche sans nous transformer en éponge. Grâce à la sueur que nous évacuons, notre corps se maintient à son petit 37 °C sans surchauffe. Et grâce à la chair de poule, avec nos poils affolés, nous savons qu’une petite laine s’impose. Les plus romantiques noteront que, parmi les récepteurs sensoriels présents dans la peau, les disques de Merkel nous informent qu’une caresse est en cours… Pour les masos, s’en remettre aux corpuscules de Ruffini prompts à signaler des étirements cutanés : aïe !
Avis de recherche
Des lustres maintenant qu’on chante les louanges du microbiote intestinal. Mais il y a moins de dix ans, des recherches ont révélé que la surface de la peau aussi est couverte d’un tapis vivant et invisible de milliards de micro-organismes, microbes, bactéries, champignons. Et de virus, a-t-on mis en évidence récemment. Quel est l’intérêt de ce microbiote ? Fondamental, mon cher Watson. Ces micro-organismes qui participent à défendre la couche cornée des agressions extérieures ne cessent de papoter entre eux via des substances chimiques qui seraient à l’origine de nos odeurs corporelles. En outre, ce microbiote différent selon chaque individu (son âge, son sexe, son mode de vie) est une sorte de carte d’identité. Il varie aussi selon les régions du corps. On distingue ainsi trois micro-environnements cutanés principaux : les zones grasses (le visage, l’intérieur des oreilles, l’arrière du cuir chevelu…), les zones humides (l’intérieur des narines, les aisselles, entre les doigts…) et les zones sèches (les bras, les paumes des mains…).
La composition - ou la perturbation - de cette petite colonie permet aussi d’expliquer certains problèmes de peau (atopie, acné) et irritations. Ainsi, une importante invasion de staphylocoques dorés pourrait être un facteur déclencheur de l’eczéma. A quand des nouveaux traitements ? C’est peu dire que le monde de la recherche est sur le coup. Et notamment au sein de L’Oréal, où la chercheuse Cécile Clavaud planche sur les «Skin microbiome projects», qui s’intéressent aussi de près au cuir chevelu. A quand la microbiosmétique ? Elle commence à débouler dans les bacs.
Mon truc en peau
Greffer de la peau, fabriquer de la peau. L'épopée, narrée par l'expo, a commencé dans les années 70. Marcelle Régnier, ex-chercheuse en biologie, en a fait partie, d'abord au sein de l'Inserm. «Au début, il s'agissait de travailler sur la culture de cellules épidermiques, de les multiplier.» C'est ainsi qu'il a été possible, plus tard, de transférer sur des grands brûlés des lambeaux cultivés avec les propres cellules du patient. 1979 reste aussi une grande année. L'équipe du Pr Pruniéras, à laquelle appartient Régnier, parvient à mettre au point le premier épiderme reconstruit avec une couche cornée. En 1986, voilà la première peau complète mise au point. A suivi le premier épiderme reconstruit pigmenté. Tout un savoir-faire que L'Oréal a développé en 1997 dans l'une de ses filiales, à Lyon, au centre Episkin, véritable usine à peaux qui partage ses avancées avec le service des grands brûlés de l'hôpital Percy de Clamart (Hauts-de-Seine).
Un nuancier montre la diversité des couleurs.
L’Oréal Recherche &Innovation
La méthode est rodée. Tout commence par une collecte de déchets opératoires, des bouts de peau provenant notamment d'interventions de chirurgie esthétique. Objectif : en extraire les cellules - notamment les kératinocytes (90 % de l'épiderme) - qui, placées dans un milieu de culture (vitamines, sucre…), se multiplient sans barguigner. Stockées dans de l'azote à -196 °C, elles dorment dans une sorte de «banque» jusqu'à ce que l'on décide vraiment de fabriquer la peau. Les cellules, placées au chaud dans un incubateur à 37 °C et nourries, forment une sorte de tapis que l'on place sur un support… Et voici des bouts de peau, conditionnés sous forme de pastilles (60 euros le cm2 en entrée de gamme). Pour quoi faire ? Toutes sortes de tests. Et c'est peu dire que, depuis 2013 et l'interdiction de tester les produits cosmétiques sur les animaux, ces pastilles (100 000 unités par an) se taillent un franc succès. Dans d'autres centres, on s'échine déjà à fabriquer des peaux avec la technique de la bio-impression 3D. Pour l'instant, à en croire la directrice d'Episkin, cette technique ne permet pas une production de masse. Mais pourrait permettre de complexifier le schéma et, qui sait, de fabriquer de la peau avec des follicules pileux, des vaisseaux sanguins…