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Libération
Reportage

LGBTphobie : «J’ai lu sur Internet que les homos ont un chromosome en moins»

LGBT +dossier
Pour lutter contre les discriminations, SOS Homophobie anime depuis quinze ans des ateliers de prévention dans les écoles. Il y a quelques jours, l’association s’est rendue au lycée Edgar-Quinet, à Paris. Pendant deux heures, les bénévoles ont tenté de déconstruire les stéréotypes des adolescents.
Au lycée Edgar-Quinet, dans le IXe arrondissement de Paris, le 13 mars. (Photo Cyril Zannettacci. Vu pour Libération)
publié le 25 mars 2019 à 19h56

Ils sont une vingtaine à prendre place dans l’amphithéâtre du lycée polyvalent Edgar-Quinet, à Paris. Sauf qu’en ce mercredi de mars, ces élèves de première STMG (Sciences et technologies du management et de la gestion) ne s’apprêtent pas à suivre un cours classique mais une session de sensibilisation aux LGBTphobies, menée par des bénévoles de SOS Homophobie. Depuis quinze ans, l’association anime des ateliers de prévention en milieu scolaire pour tenter de faire reculer une haine qui ne semble pas faiblir. Selon le ministère de l’Intérieur, entre janvier et septembre 2018, le nombre de plaintes pour des actes LGBTphobes a augmenté de 15 % par rapport à la même période de l’année précédente. Les écoles sont loin d’être épargnées : en 2017, l’association a reçu 99 témoignages faisant état d’agressions de ce type en milieu scolaire, contre 72 en 2016.

Fin janvier, le gouvernement a lancé une campagne d’affichage pour lutter contre l’homophobie à l’école. SOS homophobie sillonne quant à elle les collèges et lycées : plus de 1 150 établissements du secondaire ont fait l’objet de sessions de sensibilisation au cours de l’année scolaire 2017-2018. Une goutte d’eau, sur les 11 000 que compte l’Hexagone. Mais l’association entend bien accélérer la cadence : pour faire face à des sollicitations de plus en plus nombreuses, elle a lancé début mars une campagne de financement participatif pour qu’un fonds de dotation voie le jour. Objectif : récolter 22 000 euros, destinés à accompagner plus de victimes, et à sensibiliser davantage de jeunes.

Au lycée Edgar-Quinet, c'est une première. L'idée a été soufflée au proviseur par l'infirmière scolaire, Fleur Prache. En poste depuis un an, elle prône une mise en place scrupuleuse des sessions d'éducation à la santé et à la sexualité : «J'entends beaucoup d'histoires qui m'alertent : de rapports non protégés, de grossesses non désirées, ou même de relations filmées que des jeunes filles acceptent pour se soumettre au désir de monsieur… D'où l'importance d'espaces de parole comme celui-ci, essentiels à la citoyenneté.» Pour encourager une parole libre et favoriser les échanges, les élèves sont invités à prendre place en cercle, sur la scène de l'amphithéâtre. L'infirmière et leur professeure, elles, s'installent en retrait. «Il faut à tout prix éviter le côté "cours magistral"», appuie Nicolas, l'un des deux bénévoles de SOS Homophobie animateurs de cette session. Pendant deux heures, lui et son homologue Mickaël, formés à cet exercice systématiquement pratiqué en binôme, vont jongler entre récits personnels, notions de droit, pédagogie et un brin de discipline pour inviter l'assistance, âgée de 16 ans en moyenne, à la réflexion.

Discriminations

Quand on demande à ces élèves s'ils savent ce que signifie le terme «discriminer», les suggestions fusent : «juger», «rejeter», «insulter», «harceler». En ont-ils déjà été l'objet ? Non, répondent-ils en chœur. Pourtant, quand Mickaël et Nicolas rendent concrètes les discriminations à travers quelques questions bien senties, une forme de prise de conscience semble gagner la classe. Une jeune fille se souvient de cette colo, au cours de laquelle elle était «la seule noire». «J'avais 6 ans, et je sentais qu'on me traitait différemment», dit-elle, tout en minimisant ce ressenti pourtant vivace. Un autre, avachi sur sa chaise et emmitouflé dans sa parka, assure avoir été traité de «sale noir» la veille par un policier. «J'ai l'habitude», ajoute-t-il, résigné. «Le racisme est une forme de discrimination, entame Nicolas. Les insultes sont punies par la loi. Cela peut aller de 12 000 à 22 500 euros d'amende, si c'est une injure raciste ou homophobe.» Voilà l'assistance subtilement entraînée au cœur du sujet. «Sale PD, c'est une insulte, et cela peut valoir une amende», poursuit Nicolas.

De fil en aiguille, les deux intervenants amènent l'auditoire à s'interroger sur les stéréotypes qui peuvent conduire à des comportements discriminants. Les gays seraient «plus efféminés» ou se «comporteraient comme des femmes», détaille un jeune. «Un homme est censé être un homme», enchaîne un autre. «Deux lesbiennes, je vais pas les critiquer, mais deux…» entame un élève, visiblement incapable de prononcer le mot «gays». C'est donc Mickaël qui finit sa phrase. «Ouais… Ça me dégoûte, poursuit l'adolescent. Si leurs parents avaient fait ça, ils seraient même pas là.» Des mots durs que les bénévoles laissent sortir : «Peut-être qu'en s'entendant dire de telles choses, ils réaliseront qu'ils sont allés trop loin», espère Nicolas.

Stéréotypes

Cette parole libérée permet de prendre la mesure des idées reçues qui imprègnent l'auditoire. Si ces jeunes semblent au fait de ce qu'est l'homosexualité, c'est plus flou quant à la bisexualité. Il y a cette brune aux cheveux longs, pour qui cela signifie «être ouvert d'esprit», et sa voisine, pour qui cela implique d'être «attiré par le premier venu». «Vous pensez qu'ils ont plus de conquêtes que les hétéros ?» questionne Nicolas. «Ils veulent tester», répond l'un. «N'importe quoi, ils suivent leurs sentiments, c'est tout», recadre un autre. Ces réponses reflètent les résultats d'une enquête menée en 2015 par les associations Bi'cause et SOS Homophobie, dans laquelle la bisexualité était bien souvent associée au libertinage, à un état transitoire ou à de la frivolité.

Autre idée reçue exprimée par cette classe parisienne : l'homosexualité et la bisexualité découleraient d'un choix. Autre erreur : «J'ai lu sur Internet que les homos ont un chromosome en moins. Ils ont un problème à l'intérieur d'eux», croit savoir un ado. Cela n'étonne pas Fleur Prache, l'infirmière : «Dans une autre classe, un élève a dit clairement qu'à ses yeux, c'est une maladie. Face à ce type de propos, les profs sont souvent dépassés.» Nicolas et Mickaël, eux, répondent avec patience et pédagogie. D'expérience, ils savent qu'un récit plus personnel peut contribuer à faire évoluer le point de vue de leurs interlocuteurs. Le silence se fait quand Nicolas raconte son enfance à «se sentir différent», les années passées à «refouler ce qu'il était à cause des insultes qui le faisaient pleurer le soir». Régulièrement dissipés, les ados semblent cette fois clairement touchés. «Il y a cinq ans, dans nos interventions, il était rarissime de croiser des jeunes qui s'assument. Les choses ont bougé», veut croire Nicolas. Comme un miroir, le bénévole, presque quadragénaire, invite ensuite les adolescents à se demander comment ils réagiraient si l'un de leurs amis leur confiait être homosexuel. Tandis que les filles lui diraient de «rester lui-même», cela semble plus complexe dans le camp des garçons : «Tant qu'il n'est pas PD… euh, gay avec moi, ça va», s'écrie l'un d'eux.

Genre

Questionner pour éduquer : c'est la démarche adoptée par SOS Homophobie lors de ces sessions, pas si loin de la maïeutique. Par exemple, pour expliquer ce qu'est la transidentité, les intervenants demandent aux lycéens s'ils se sentent homme ou femme. A la spontanéité des réponses succède une autre interrogation : «Comment vous le savez ? Est-ce que vous avez besoin de vérifier dans vos pantalons ?» Evidemment, non. «Se sentir homme ou femme, c'est l'identité de genre, qui ne correspond pas toujours à celui qu'on nous assigne à la naissance», déroule Mickaël. Et de poursuivre : «Ce que l'on montre, à travers les habits ou le maquillage, c'est ce qu'on appelle l'expression de genre.»

Au lycée Edgar-Quinet, dans le IX

arrondissement de Paris, le 13 mars. Photo Cyril Zannettacci. VU pour Libération

Sexisme

Quand on leur demande d'identifier une autre discrimination prégnante dans la société, la vingtaine de lycéens met bien du temps à prononcer le mot «sexisme». Pourtant, «le sexisme est indissociable de l'homophobie, il faut aller à la racine», estime Nicolas qui pose une colle à la classe : combien y a-t-il de femmes PDG d'une entreprise du CAC 40 ? Réponse : une. «C'est Ségolène Royal ?» tente un audacieux. Raté : c'est Isabelle Kocher, directrice générale d'Engie (mais pas présidente). Pourquoi sont-elles si peu nombreuses ? Florilège des pistes entendues : «Les hommes sont plus autoritaires», «les femmes n'osent pas aller plus loin» ou encore «si ça se trouve, elles ont des enfants».

S'ensuit un débat enflammé sur les lois en matière de parité ou le partage des tâches domestiques («moi je fais mon lit», se gargarise un fayot), au cours duquel les intervenants s'effacent, tandis que les jeunes s'enhardissent. Quand vient le thème des violences conjugales, une fracture se dessine entre les genres. Côté mecs : «A 80 %, c'est de la faute de l'homme qui frappe, à 20 % celle de la femme.» Réponse des demoiselles, indignées : «Il n'a qu'à taper dans un mur.» Réplique du camp adverse : «C'est quand même pas le mur qui trompe ! Et sinon, la femme comprendra pas.» Remontée, une petite brune s'agace : «Tu aimes et tu tapes ? T'as un problème dans ta tête, frère !»