Menu
Libération

Engagements dans une ONG ou en politique, le chassé-croisé

Plusieurs personnalités issues de la société civile ont décidé de venir en politique afin de peser sur les lois, tandis que des élus ou des ministres, découragés par les manœuvres politiciennes, sont allés travailler pour les ONG.
Cécile Duflot et Pascal Canfin, en mars 2014, après un conseil des ministres. (Photo Alain Jocard. AFP)
publié le 26 mars 2019 à 21h26

La politique par souci d'efficacité, la société civile au nom de l'intégrité : le dilemme semble travailler en profondeur la mouvance écolo, ou du moins quelques-uns de ses porte-voix. «Il faut investir les lieux politiques où les décisions vont être prises», a justifié mardi dans le Monde l'écologiste Pascal Canfin, quittant la direction française de l'ONG WWF pour intégrer la liste macroniste aux élections européennes. Cinq mois plus tôt, Nicolas Hulot empruntait le chemin inverse : «Je ne veux plus me mentir», soufflait l'ex-animateur, nommé depuis président d'honneur de la Fondation Nicolas Hulot.

Un découragement qu'avait déjà exprimé, en mars 2014, le ministre… Pascal Canfin, au moment de quitter l'exécutif avec sa collègue Cécile Duflot. Comme lui, c'est vers le secteur associatif que s'est tournée cette dernière, devenue en juin 2018 la directrice générale d'Oxfam France. «La façon dont l'Etat français fonctionne est à pleurer», avait-elle regretté quelques mois après sa démission. A un levier politique jugé grippé, certains écologistes opposent désormais la vitalité associative, alors que se multiplient les initiatives citoyennes en faveur de l'environnement - «grève scolaire», pétitions, manifestations et plainte contre l'Etat français, entre autres.

«Peur». Ex-cadre de La France insoumise, engagée dans le collectif Extinction Rebellion, Corinne Morel Darleux oppose franchement les types d'engagement : «La conquête du pouvoir implique un temps et une énergie qui ne vont pas à l'action : il faut commenter, assurer sa visibilité médiatique, s'occuper de tactique interne… La situation climatique ne nous le permet plus. Elle exige, en plus, un discours de vérité qui fait peur aux partis.»

L'ex-ministre Cécile Duflot estime elle aussi être «aujourd'hui plus utile à Oxfam qu'en politique. La dimension internationale du poste est passionnante, et j'avais épuisé ma résistance aux petits tracas de la vie partisane». Mais l'ancienne patronne d'EE-LV insiste pour ne pas opposer les deux types d'engagement, les jugeant l'un comme l'autre indispensables à la cause. «Une grande partie de notre travail consiste à faire du plaidoyer auprès des pouvoirs publics : pour être efficaces, il faut donc être écoutés» par les politiques, ajoute Sandrine Bélier, ex-eurodéputée EE-LV désormais directrice de l'ONG Humanité et Biodiversité.

«Façonnage». Certes, un monde sépare les petites associations écologistes des plus importantes structures telles qu'Oxfam ou le WWF : dans ces dernières, les ex-ministres trouvent des moyens et un niveau d'expertise presque comparables à ceux de leurs précédentes équipes. «Les ONG se sont beaucoup professionnalisées, estime Claire Nouvian, fondatrice de l'ONG de protection des océans Bloom. Elles ont désormais une place majeure dans le façonnage des politiques, les administrations s'appuient sur elles et on peut presque parler de cogestion sur certains sujets.» De quoi rendre précieux l'expérience et le réseau de leurs recrues politiques.

Certains effectuent le chemin inverse, jugeant utile d'être au plus près de la décision politique. Telle la tête de liste EE-LV, Yannick Jadot, ex-directeur des campagnes de Greenpeace, qu'il a quittée en 2008 pour une première candidature européenne. Ou de Claire Nouvian, qui a démissionné mardi de la présidence de Bloom pour être candidate (en position non éligible) sur la liste PS-Place publique. «J'ai une immense admiration pour les mouvements de la société civile, explique-t-elle. Malheureusement, même une forte mobilisation ne garantit pas que les bonnes lois seront votées ensuite. Ce qu'on vient chercher, en passant en politique, c'est l'efficacité.» La militante ne quitte pourtant pas sans regrets un monde associatif où «les désaccords existent mais, contrairement à la politique, se règlent en famille, et où l'esprit d'union finit toujours par l'emporter».