Son licenciement l’a anéantie. Justine (1), 28 ans, atteinte d’endométriose, est cheffe d’équipe dans un atelier mécanique depuis trois ans quand, le 14 février 2017, elle reçoit une lettre de son employeur. Elle est mise à la porte. Le motif ? Désorganisation de service. «Un faux prétexte» , assure la jeune femme, qui vit en Lorraine. Derrière ce licenciement se cache en réalité une situation médicale complexe. A la réception du courrier, Justine était en arrêt maladie depuis quatre mois, après une intervention chirurgicale dont elle s’est difficilement remise. «Je me suis sentie discriminée à cause de ma maladie, estime la jeune femme, qui a décidé de poursuivre l’entreprise aux prud’hommes. Parce qu’on est une femme, qu’on est malade, on doit se laisser licencier comme une malpropre ?» L’audience aura lieu en septembre. Selon les associations de patientes, plusieurs procédures seraient en cours pour des cas similaires.
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Marathon médical
L’endométriose, qui se caractérise par la présence de cellules d’origine utérine en dehors de l’utérus, toucherait entre 2 et 4 millions de femmes en France. Selon les malades, elle se développe de manière différente : fatigue chronique, très fortes douleurs, risques d’infertilité… Parfois asymptomatique, elle peut aussi prendre une forme très handicapante. Une spécificité qui ne facilite pas le diagnostic : il faut compter en moyenne sept à dix ans d’errance médicale.
Pour celles qui en sont le plus atteintes, l'endométriose a des conséquences directes sur leur vie professionnelle, à différents niveaux. La maladie peut causer, et particulièrement en période de règles, des douleurs intenses. Troubles intestinaux, difficultés à marcher, vomissements, malaises sont le lot quotidien de ces femmes en période de crise. Marie-Cécile, 25 ans, a ainsi dû quitter son travail d'assistante maternelle : «J'ai eu plusieurs fois des soucis en raison de mes douleurs. J'ai fait un malaise en présence d'un enfant. Ce métier devenait trop risqué.»
Les difficultés à tenir son poste s'accompagnent souvent d'arrêts de travail réguliers, parfois longs, ou de temps partiels pour gérer les douleurs, les examens médicaux ou les opérations. Un marathon médical qui n'est pas sans conséquences sur l'évolution des carrières. Présidente de l'association Endofrance et ex-responsable d'un service communication, Yasmine Candau raconte : «Un matin, j'ai été incapable de me lever, mon corps me faisait trop souffrir. A partir de là, j'ai été en arrêts réguliers et multi-opérée. J'ai dû renoncer à ma carrière et occuper un poste moins intéressant. C'était vraiment dur de prendre cette décision, mais je n'avais pas le choix ; physiquement, je n'étais plus capable d'assumer mon poste.»
Comme d'autres maladies de longue durée, l'endométriose est une source indéniable de précarité professionnelle. Cécilia, 29 ans, en mi-temps thérapeutique dans le secteur culturel, se bat contre les retards de versement de salaire. Elle attend toujours ceux de janvier et février. Quant à ses indemnités journalières, elles ont été divisées par deux. «Cette baisse de budget tombe mal car je dois poursuivre mes soins, dont une pilule spécifique à 67 euros par mois, non prise en charge par la sécurité sociale.»
Ces carrières en dents de scie sont plus ou moins bien acceptées par l'entourage professionnel. Plusieurs des femmes atteintes d'endométriose interrogées par Libération décrivent l'incompréhension des collègues, démunis face à une maladie qui touche à l'intime, et dont ils n'ont parfois jamais entendu parler. «Certains le vivent bien. D'autres, ça leur fait peur, car ils ne connaissent pas l'endométriose», témoigne Marie-Rose Galès, employée dans une mairie en région parisienne et auteure du blog Endométriose mon amour. Et le manque d'indulgence n'est pas forcément l'apanage des collègues machos. Auteure du livre Des barbelés dans mon corps (éditions du Rocher), paru en début d'année, Virginie Durant raconte avoir été violemment attaquée par une ex-cheffe quand elle a annoncé son départ du magazine où elle travaillait. «Elle m'a lancé : "Ce n'est pas moi que tu vas manipuler avec tes maux de ventre. Je suis une femme, je sais très bien que c'est un prétexte pour ne rien faire."»
«Mâchoire serrée»
Justine, qui a attaqué son ex-employeur aux prud'hommes, a été confrontée elle aussi à des collègues sans «aucune compassion» face à ce qu'ils considéraient comme «une maladie de femmes». «Ils n'ont pas voulu m'écouter, comprendre ce qu'est l'endométriose, ce que ça implique», regrette-t-elle. «Si ça avait été un homme atteint d'un cancer de la prostate, ils n'auraient pas fait ça», avance la jeune femme, qui estime avoir été victime de préjugés sexistes autour de la maladie. Des préjugés qui peuvent s'assimiler à une double peine pour certaines, déjà victimes d'autres discriminations (couleur de peau, orientation sexuelle…).
Souvent, un dilemme se pose : faut-il dévoiler la nature de sa maladie à son employeur ? Les associations s'accordent à dire qu'il n'y a pas de bonne solution, d'autant qu'il n'y a aucune obligation légale à en parler. «C'est à double tranchant. On est intervenu auprès d'Air France, qui a souhaité sensibiliser ses salariés à la question de l'endométriose, et on s'est rendu compte que les femmes n'osaient pas parler de leur maladie par peur de l'impact sur leur carrière», explique la présidente de l'association Endomind, Nathalie Clary.
Face aux risques de mise à l'écart ou de licenciement, ces femmes peuvent avoir recours à diverses aides et demander des aménagements de poste si elles le souhaitent. Chez Endofrance, Yasmine Candau évoque plusieurs cas de figure : «Certaines femmes choisissent de réduire leur temps de travail, de passer à temps partiel pour pouvoir s'accorder des moments pour être à l'écoute de leur corps et de leur maladie. D'autres choisissent d'elles-mêmes de changer de poste, voire de métier, pour trouver un emploi plus en phase avec l'endométriose.» Une possibilité que certaines se refusent, préférant compter sur les antidouleurs. «Lorsque j'ai des crises, je vais travailler quand même. J'y vais chaque jour avec la douleur, gorge et mâchoire serrées, sinon je passe la journée au lit, raconte Aurélie, 35 ans, administratrice de production dans le milieu culturel. Je préfère absorber la douleur et continuer à travailler. Je ne veux pas laisser l'endométriose prendre le dessus.» Certaines s'organisent à leur manière, à l'instar de Marie-Rose Galès, qui assume «d'aller en réunion avec une bouillotte sur le ventre» : «Cela ne m'empêche pas de faire ma présentation, ce sont des petites adaptations.»
Réponses aléatoires
Le télétravail, pourtant plébiscité par certaines malades, reste encore peu pratiqué. «Je travaille de chez moi et je peux voir la différence, assure pour sa part Nathalie Clary d'Endomind, qui a travaillé pendant des années en agence de voyage avant de reprendre son activité à domicile. Sarah Zouak, 29 ans, entrepreneuse sociale et réalisatrice de documentaires, abonde : «Aujourd'hui, en étant à mon compte, je peux adapter mes horaires à mes douleurs et à mes rendez-vous médicaux. Pour moi, c'était une question de survie d'avoir cette flexibilité. Je me suis fait hospitaliser un bon nombre de fois, et je n'ai pas eu à le dire à l'ensemble de mon équipe, vu que je travaille principalement de chez moi.» Quelle que soit leur situation, toutes s'accordent sur un point, le monde du travail «n'est pas adapté».
Du côté de l'assurance maladie, la prise en charge de l'endométriose n'a rien d'automatique. Cette maladie chronique et invalidante ne figure pas sur la liste des affections de longue durée (ALD). Il est toutefois possible de faire une «demande hors liste» avec son médecin traitant, sans garantie de succès. «Des femmes ont des atteintes de stade 4 et sont prises en charge ALD dans la région Paca par exemple, mais une patiente qui aura exactement la même atteinte dans les Hauts-de-France sera refusée, on ne sait pas pourquoi», explique Nathalie Clary.
Autre possibilité pour les femmes qui souffrent d'endométriose : demander une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) à leur médecin du travail. Une démarche relativement peu connue des principales concernées. «Il y a encore cette vision du handicap forcément visible, physique, lourd. On n'imagine pas toutes les maladies qui peuvent représenter un handicap invisible quotidien», souligne Yasmine Candau. Avant d'obtenir ce statut, octroyé de manière temporaire, les malades se confrontent à des démarches administratives fastidieuses. Un dossier très documenté doit être construit. Les délais de traitement peuvent être très longs et les réponses aléatoires, déplorent les associations, qui plaident pour l'établissement de «critères nationaux» facilitant le processus. Reste que la RQTH peut apporter une aide précieuse aux femmes n'arrivant plus à concilier travail et maladie. Grâce à elle, aide aux financements de formations en cas de reconversion et aménagements de poste sont notamment (et normalement) facilités.
(1) Le prénom a été changé.