Emmanuel Macron et Nicolas Sarkozy, l'un marchant dans les pas de l'autre : l'image était attendue. Dimanche, le président de la République s'est rendu avec son prédécesseur en Haute-Savoie, sur le plateau des Glières, haut lieu de la résistance. Accompagné des ministres Jean-Michel Blanquer, Geneviève Darrieussecq et Sébastien Lecornu, le chef de l'Etat a commémoré en présence du 27e bataillon des chasseurs alpins et de plusieurs centaines d'écoliers savoyards le 75e anniversaire des combats durant lesquels plus d'une centaine de maquisards ont été tués par l'armée allemande et la milice française, en mars 1944, sur ce plateau du massif des Bornes. Une occasion affichée de prendre de la hauteur, alors que l'exercice du grand débat auquel Macron se livre depuis le début de l'année, à la rencontre des maires et de quelques groupes choisis de citoyens, s'éternise.
Confirmé la semaine dernière, ce déplacement présidentiel au lendemain de l'«acte XX» des gilets jaunes n'a pas échappé aux partisans locaux du mouvement, dont certains avaient annoncé vouloir mener une action «pacifique». Sur les ronds-points entre Annecy et les Glières, point de chasuble fluo mais une armada d'hommes en bleu pour boucler la zone le temps de la cérémonie. Sur place, l'accès à la nécropole nationale de Morette a été strictement encadré. Un millier d'invités ont pu prendre place dans les tribunes, tandis que les spectateurs, acheminés en bus après un long contrôle de sécurité, ont dû se contenter du pré attenant, où l'hommage a été retransmis sur un écran géant.
«Bazar»
Sylvie et Frédéric viennent chaque année de Chambéry pour se recueillir sur la tombe du meilleur ami du grand-père de Sylvie, mort aux Glières. «J'ai très mal pris que M. Macron vienne comme ça, au dernier moment», regrette la mère au foyer de 36 ans, qui apprécie peu «tout ce bazar» : «On a dû s'inscrire en préfecture, faire la queue pendant deux heures et demi et maintenant, on est obligés de s'asseoir dans un champ», grimace-t-elle. La venue de Nicolas Sarkozy ne la «ravit pas plus que ça». Tout comme l'éventuelle présence de gilets jaunes : «On est là pour le devoir de mémoire, pas pour régler des comptes avec M. Macron, ce n'est ni le lieu ni l'endroit.»
L'invitation faite à l'ancien chef de file de la droite laisse également Anne-Marie, 72 ans, employée à la retraite, dubitative : «Est-ce que sa venue est politique ? Je me pose la question des intentions d'Emmanuel Macron.» Plus loin, Claude, 76 ans, ancien chauffeur de car, trouve lui sa présence «tout à fait normale» : «On doit s'unir pour faire passer ce message de paix aux nouvelles générations, considère-t-il. On n'a pas le droit d'oublier, sans garder de rancœur.» C'est en 2007 que Nicolas Sarkozy, alors candidat UMP à la présidence, avait fait le vœu, aux Glières, de revenir chaque année. Une fois élu, il a tenu sa promesse. Et n'a pas caché son plaisir de retrouver cette année son lieu de pèlerinage. «Le président de la République a eu la gentillesse de me convier, il n'y avait aucune raison que je refuse, les occasions de rassemblement sont si rares en ce moment», a-t-il expliqué, ajoutant savoir «par expérience» qu'être président de la République, «c'est bien difficile et qu'il est impossible de pouvoir satisfaire tout le monde».
Dos tourné à l'écran
Après l'hommage aux maquisards, le chef de l'Etat s'est rendu avec une poignée d'élus locaux, dont le président de la région, Laurent Wauquiez, au monument national à la résistance, sur le plateau des Glières. Emmanuel Macron et Nicolas Sarkozy ont déposé deux bouquets de jonquilles au pied du drapeau flottant sur l'œuvre du sculpteur Emile Gilioli, entourée de neige. Durant son discours, le président de la République a narré avec emphase «l'épopée sublime et tragique» des résistants des Glières. Dans le public, côté champ, un groupe d'une quinzaine de personnes s'est aligné, dos tourné à l'écran, pour marquer sa désapprobation.
«Par respect pour la cérémonie», leur acte de rébellion est resté silencieux, explique Pierre, 61 ans, retraité de la fonction publique : «Nous sommes venus célébrer ceux à qui l'on doit d'être libres. Nous, nous sommes entrés dans une forme de résistance à la politique d'Emmanuel Macron. Tant qu'il mènera, en tant que représentant des plus riches, cette politique de destruction sociale, nous serons toujours là pour la combattre.» Pierre et ses acolytes ont préféré laissé leur gilet jaune au placard pour s'assurer de passer les contrôles de police. Le retraité pointe du doigt son cœur et sa tempe : «Mon gilet jaune, il est là.»