Peut-être un petit sentiment de solitude ? Quelques hésitations et une émotion parfois visible ont marqué, lundi, la première apparition de Sibeth Ndiaye comme porte-parole du gouvernement. Nommée dimanche en remplacement du sortant Benjamin Griveaux, l'ex-conseillère en communication se présentait face à la presse pour son premier compte rendu du Conseil des ministres, un exercice qu'elle assurera désormais chaque semaine. Brusquement propulsée des coulisses de la macronie aux estrades médiatiques, la nouvelle secrétaire d'Etat a promis d'exercer ses nouvelles fonctions «avec beaucoup d'humilité». Mais sans se départir du rude «franc-parler» qui a jusqu'ici caractérisé ses relations avec les journalistes.
Comme les deux autres entrants, l’ex-députée LREM Amélie de Montchalin (Affaires européennes) et l’ancien conseiller présidentiel Cédric O (Numérique), Sibeth Ndiaye endosse pour la première fois l’habit ministériel. Défendre et illustrer la politique du gouvernement était déjà le pain quotidien de cette ex-socialiste de 39 ans, macroniste de la première heure, qui entretenait avec les journalistes un commerce quotidien.
«Eloigné du peuple»
C'est alors depuis les coulisses qu'agissait la native de Dakar, quasi invisible du grand public et dont la presse attribuait les propos off à «l'entourage du chef de l'Etat». C'est désormais en pleine lumière qu'opérera la nouvelle porte-parole, appelée à représenter l'exécutif sur tous les fronts médiatiques - transition «risquée», veut bien reconnaître une source ministérielle.
Que parmi les nouveaux venus figurent deux conseillers présidentiels a semblé souligner une autre solitude : celle d'un chef de l'Etat contraint de tirer de son propre cabinet les remplaçants des ministres démissionnaires. «Macron choisit deux [de ses] conseillers sur trois postes, encore un peu plus techno, encore un peu plus éloigné du peuple, tel est le destin de ce gouvernement», a jugé sur Twitter la vice-présidente (LR) de la région Grand Est, Valérie Debord. «C'est la technocratie et l'arrogance au pouvoir», a renchéri la tête de liste européenne EE-LV, Yannick Jadot. Il est vrai que les précédents remaniements avaient, eux, approfondi l'ouverture macroniste vers d'autres bords ou vers la société civile, avec les arrivées du socialiste Olivier Dussopt (Fonction publique) en novembre 2017, de la nageuse de compétition et ex-élue PS Roxana Maracineanu (Sports) en septembre 2018 ou encore du cadre Modem Marc Fesneau (Relations avec le Parlement) et de l'ex-socialiste Didier Guillaume (Agriculture), en octobre.
Il est vrai aussi qu’en piochant parmi ses conseillers et au sein du groupe LREM à l’Assemblée, le chef de l’Etat grignote deux milieux déjà fragilisés - l’un par les départs de plusieurs conseillers présidentiels au fil des dernières semaines, l’autre étant parfois critiqué pour son manque d’envergure politique et médiatique.
La thèse de l’isolement présidentiel est pourtant plus difficile à soutenir depuis la constitution d’une liste européenne macroniste offrant des places éligibles aux écologistes Pascal Canfin et Pascal Durand, soutenue implicitement par un Alain Juppé retiré de la vie politique, et explicitement par l’ancien Premier ministre UMP Jean-Pierre Raffarin.
«Couillu»
«Il s'agissait d'un petit remaniement technique, les grandes manœuvres sont pour le lendemain des européennes», juge un conseiller ministériel.
«Les grandes figures d'ouverture, on a vu ce que ça donnait avec des Hulot et des Collomb, fait valoir un autre. Aujourd'hui, c'est la compétence qui a primé. Et parier avec Sibeth sur une nana de moins de 40 ans, noire, pas née en France, c'est couillu et ça veut dire quelque chose en termes d'égalité des chances.» Le remaniement aurait même, ajoute-t-on, son sous-texte partisan : «Sibeth, c'est la jambe gauche du mouvement ; Cédric O, c'est le macronisme pur jus ; Montchalin, ex-juppéiste, ça dit quelque chose à la droite.» Ce que la tête de liste de La France insoumise, Manon Aubry, a semblé démontrer en présentant la nomination de cette dernière comme une «terrible nouvelle pour le mouvement social».
Pour Sibeth Ndiaye, une intéressante et délicate transition s'annonce, entre des premières fonctions où elle assumait la mise à distance des journalistes théorisée par Emmanuel Macron, et sa nouvelle mission. Lundi, la porte-parole a été interrogée sur des propos rapportés en 2017 par l'Express, où elle déclarait «assumer de mentir pour protéger le Président». La secrétaire d'Etat a démenti des propos «sortis de leur contexte et tronqués, qui visaient à protéger la vie privée du Président. C'était ma fonction à l'époque». Et promis que ses futures interventions «refléteront l'action du gouvernement, pour la rendre plus intelligible et plus claire».
Amélie de Montchalin, une libérale assumée secrétaire d’Etat aux Affaires européennes
Pied au plancher. Lundi matin, elle avait déjà transmis son agenda hebdomadaire comportant un premier déplacement ce mardi à Berlin. Tant pis si les Affaires européennes ont rétréci au passage, de ministère délégué à simple secrétariat d’Etat envoyant un curieux signal à huit semaines des européennes et en plein dossier Brexit. Amélie de Montchalin, qui succède à Nathalie Loiseau partie conduire la liste LREM pour le scrutin du 26 mai, voit ce nouveau poste comme
«une immense aventure».
Elle promet de
«mobiliser toute [son] énergie à appliquer ce projet sur le terrain, dossier par dossier».
D'énergie, la députée de l'Essonne n'en manque pas. Dans ce groupe LREM de 300 membres pour la plupart néophytes, l'économiste, élue pour la première fois en 2017, est très vite sortie du lot : nommée «whip» (référente) de la commission des finances, elle va toquer à la porte de Bercy munie de sa liste d'amendements à négocier. Si elle ne rechigne pas aux bras de fer, ne pas s'y tromper : Montchalin tient la ligne et la tranchée. Cette libérale assumée rêve de muscler les missions d'évaluation et de contrôle de l'Assemblée et tient le pragmatisme pour boussole. Elu à la tête du groupe LREM, Gilles Le Gendre la nomme vice-présidente, ses collègues louent son efficacité mais s'agacent de son côté autoritaire. Certains la surnomment «la régente». La trentenaire, qui parle couramment le techno, maîtrise les codes politiques. Elle vient au macronisme par la droite. Après un stage chez Valérie Pécresse en 2007 puis en 2014, elle nourrit en notes la Boîte à idées, think tank proche de Juppé, qu'elle soutient à la primaire. Entre-temps, Montchalin a garni son rutilant CV (HEC, Harvard). Avant de rejoindre Axa, elle a suivi la crise de la zone euro de 2009 à 2012 pour Exane BNP Paribas. La revoici dans les eaux, toujours agitées, de l'UE. Laure Equy
Cédric O, fidèle «Macron boy» secrétaire d’Etat chargé du numérique

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: Cédric O s’est laissé aller lundi à un trait d’humour - aussi rare que travaillé - lors de sa passation de pouvoirs avec Mounir Mahjoubi, faisant référence à leurs origines familiales.
«Je suis probablement moins expansif mais nous partageons la même détermination»,
s’est immédiatement ressaisi le fils d’un cadre de Séoul et d’une enseignante lyonnaise tout en louant
«l’excellence et le dévouement de ceux qu’on appelle les technocrates»
de Bercy, une maison qu’il connaît très bien : il y a été conseiller de Pierre Moscovici puis d’Emmanuel Macron.
A 36 ans, ce fidèle du chef de l’Etat, qu’il a suivi à l’Elysée après avoir été trésorier de sa campagne en 2017 - poste crucial s’il en est - s’occupait déjà des enjeux numériques dans le cabinet présidentiel. Au printemps 2018, il a été l’artisan du sommet «Tech for Good» où une soixantaine de grands noms du numérique s’étaient pressés à l’Elysée, une journée à 1 500 milliards de dollars (plus de 1 600 milliards d’euros) en valorisation boursière cumulée.
Comme une grande partie des «Macron Boys», le nouveau secrétaire d'Etat a fait ses premières armes politiques «Rue de la Planche», le surnom du QG de campagne de DSK lors de la primaire de 2006. Ségolène Royal battra à plates coutures celui que Cédric O, Stanislas Guerini, Ismaël Emelien ou Benjamin Griveaux s'amusent à appeler «Dieu», mais une bande est née. Elle ne se quittera plus. Passé par Terra Nova ou la fondation Jean-Jaurès, antichambres du pouvoir socialiste, Cédric O, diplômé du prestigieux lycée du Parc à Lyon et d'HEC, bascule dans le privé, chez Safran. A la surprise de la direction, il demande à travailler en usine. En Seine-Saint-Denis, il sera agent de maîtrise puis chef de ligne, dirigeant une vingtaine d'ouvriers chargés d'assembler les pièces de moteur du Rafale. Loin des bulles de la nouvelle économie. Laure Bretton