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Transphobie : «Je sortirai de cette expérience la tête haute»

LGBT +dossier
Insultée et frappée dimanche place de la République, la jeune femme, dont l’agression a été massivement diffusée sur les réseaux sociaux, entend ne pas céder face à l’ignorance et la haine de l’autre.
Julia, mercredi à Paris. (Photo Marie Rouge pour Libération)
publié le 3 avril 2019 à 21h16

Le pouvoir des images, une fois de plus vérifié : alors que les agressions transphobes sont une réalité qu’associations et victimes dénoncent régulièrement sans grand écho, une vidéo diffusée depuis lundi soir sur les réseaux sociaux par Stop Homophobie change la donne. On y voit une femme trans se faire bousculer, insulter et frapper au milieu d’une foule en plein Paris. La vague d’indignation est massive, du quidam aux responsables politiques (Anne Hidalgo, Marlène Schiappa, Alexandra Cordebard, maire du Xe arrondissement dans lequel a eu lieu l’agression).

La séquence de trente secondes est de fait choquante. Elle a été filmée dimanche 31 mars vers 20 heures, au métro République. On y voit une jeune femme blonde sortir de la station qui mène à la place où se déroule une manifestation contre le maintien au pouvoir du président algérien Abdelaziz Bouteflika. Tandis qu’elle monte les marches sous les regards plus qu’insistants, première agression : un homme lui ébouriffe les cheveux. Une jeune femme drapée dans le drapeau algérien tente de la protéger, de la ramener vers le métro. Elle, persiste, fend la foule et là, recroise «l’ébouriffeur» qui se met à la frapper violemment. Des agents de sécurité RATP interviennent alors et la mettent à l’abri.

«Marathon»

Un être seul, pacifique, qui subit une bouffée de haine aussi primitive qu'extrême : voilà ce que montre la vidéo. La victime s'appelle Julia, elle a 31 ans. Dès dimanche, une enquête a été ouverte par le parquet de Paris pour «violences commises à raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre». De son côté Julia a porté plainte mardi. Le même jour, elle témoigne, notamment auprès du HuffPost. Les faits ont commencé plus tôt, dit-elle, lorsque trois hommes l'ont empêchée d'accéder au métro, l'un l'insultant, le second lui touchant la poitrine, le dernier exhibant son sexe. «J'ai voulu partir et remonter les escaliers. D'autres hommes m'ont jeté de la bière du haut des marches, m'ont insultée. Un homme m'a giflée. C'est là que la vidéo commence.» Les agents de la RATP auraient ensuite fait preuve de maladresse, l'appelant «Monsieur», déplorant sa tenue, son short.

On la rencontre mercredi, dans les locaux de Stop Homophobie. Julia a la mine fatiguée : depuis lundi, elle écume les matinales radios et les plateaux télés. «Si je fais ce marathon médiatique, c'est avant tout pour visibiliser les actes transphobes, explique-t-elle à Libération. Et pour montrer à ces ignorants que je sortirai de cette expérience la tête haute.» Les ignorants : ses agresseurs. «Ils sont convaincus que je suis sortie habillée en fille pour provoquer, que j'ai choisi d'être différente. Alors que j'essaie simplement d'être moi-même.»

Il n'aura fallu que quarante jours. Quarante jours avant que Julia ne subisse sa première agression physique transphobe. «Mi-février, j'avais décidé de faire le grand saut et de sortir dans la rue habillée en femme, maquillée, avec des bijoux. J'ai commencé l'hormonothérapie depuis l'automne mais je n'osais pas quitter mes vêtements d'homme, j'avais trop peur du jugement des autres.» Une peur légitime. «Dès les premières semaines, j'ai eu le droit à des insultes, "tapette", "PD". L'agression de dimanche est la plus grave, il y en aura peut-être d'autres. Mais je préfère m'assumer pleinement, quitte à vivre dangereusement. Aujourd'hui, j'ai la force de dire "je vous emmerde".»

«Fondre»

Née en 1988 à Toulouse, cette benjamine d'une fratrie de quatre enfants grandit dans un milieu qui la contraint très rapidement à «renoncer à sa féminité». «Je devais avoir 10 ans lorsqu'ils m'ont fait comprendre que je devais me comporter comme un garçon. Et un garçon, ça ne joue pas à la Barbie, ça ne se maquille pas des après-midi entiers et ça ne se déguise pas avec les vêtements de sa mère.» S'ensuit une adolescence «tourmentée» que Julia considère aujourd'hui comme sa première expérience de transphobie. «M'interdire d'être qui je suis, c'était une forme de violence. Pendant plus de vingt ans, j'ai tout fait pour me fondre dans la masse que je m'en suis oubliée. La femme qui était en moi s'est révélée des années plus tard.» En 2016 exactement, quand elle commence à «se travestir».

Elle le fera régulièrement deux ans durant dans son appartement de la banlieue parisienne, après le travail (elle est commerciale), sans regard pour la juger. «J'explorais ma féminité, résume-t-elle. Je me suis très vite rendu compte que je n'étais pas bien dans ma peau d'homme. Habillée en femme, je devenais une personne plus confiante, plus sereine, plus épanouie. Et j'ai commencé petit à petit à m'assumer, d'abord face à moi-même.» Puis face aux proches, son petit ami, sa mère, ses collègues de travail. «Quand on sait que beaucoup de personnes trans perdent leur boulot parce qu'elles ont le courage de s'assumer… Moi, je ne suis pas victime de transphobie au travail. Mon prénom a même déjà été modifié sur tous les papiers administratifs de mon entreprise !»