C'est encore un grand nom du patrimoine industriel hexagonal dont l'avenir est désormais ponctué d'un gros point d'interrogation : célèbre pour ses plaques d'égout en fonte disséminées dans toutes les villes et villages de France, mais réalisant l'essentiel de son activité sur le marché des canalisations d'eau, l'entreprise sidérurgique Pont-à-Mousson, fondée en 1856 et absorbée en 1970 par la tricentenaire compagnie de Saint-Gobain, menace de passer sous pavillon chinois. Coté à la bourse de Shenzhen, le géant des tuyaux en fonte XinXing (7 milliards d'euros de chiffre d'affaires contre 600 millions d'euros pour le français) serait ainsi sur le point de racheter 60% du capital de Saint-Gobain PAM, la filiale qui regroupe les anciennes activités de Pont-à-Mousson, dont le groupe de matériaux, coté au CAC 40, à décider de se désengager. Le tout avec l'aval des autorités françaises : «Je ne veux pas, a priori, dire non à un investissement chinois […] avant même d'avoir rencontré le président de Saint-Gobain. Parce que derrière, je n'oublie pas qu'il y a des emplois», a indiqué ce jeudi matin le ministre de l'Economie et des Finances, Bruno Le Maire, au micro de BFM TV.
Mais la perspective de voir Saint-Gobain PAM, qui détient 50% du marché des canalisations pour réseaux d'eau en Europe, racheté par son principal concurrent chinois inquiète au plus haut point dans la région Grand Est. Le sénateur socialiste de Meurthe-et-Moselle Olivier Jacquin a lui-même révélé le pot aux roses à ses administrés en début de semaine en publiant un post sur Facebook titré «Saint-Gobain PAM passera sous contrôle du n°1 chinois», avant de le supprimer. Depuis l'annonce il y a un mois que Saint-Gobain cherchait un partenaire pour sa filiale Pont-à-Mousson (PAM) l'élu, se fait du mouron pour l'avenir des trois derniers hauts-fourneaux lorrains et l'emploi des quelque 2 200 salariés répartis sur les sites de Pont-à-Mousson, Blénod, Maidières, Toul, Foug et Bayard, en Haute-Marne. Il cherche désespérément à attirer l'attention des pouvoirs publics. Visiblement sans grand succès, malgré un courrier adressé à Bruno Le Maire il y a plus d'un mois.
Risque de «dépendance»
La direction de Saint-Gobain reste, elle, très évasive, affirmant que rien n'est décidé. Ce jeudi, le groupe confirmait «la recherche de partenaires potentiels, qui pourraient offrir de nouveaux débouchés et élargir la gamme de produits et de technologies» de PAM, mais démentait qu'un repreneur ait été retenu à ce stade. Les syndicats sont eux persuadés que le «deal» est déjà conclu avec les chinois : «Il apparaît aujourd'hui que le partenaire sollicité est le numéro 1 mondial, l'entreprise publique chinoise XinXing qui prendrait 60% du capital de la société», maintient dans un communiqué la CFE-CGC de PAM. Le syndicat de cadres est d'autant plus inquiet que Saint-Gobain bataillait avec XinXing depuis des années sur le marché mondial des canalisations. Pour lui, c'est le géant chinois qui cherche de nouveaux débouchés pour ses tuyaux en Europe et c'est Pont-à-Mousson et ses salariés qui risquent d'en faire les frais. Aussi, la CFE-CGC aimerait voir le gouvernement ouvrir le parapluie de la loi sur les investissements stratégiques qui lui permet d'autoriser ou non toute opération dans un secteur jugé sensible : elle «espère que cette session sera éligible à la procédure […] ce qui permettra de protéger les 2 000 emplois directs en région Grand Est, principalement en Lorraine».
De fait, en fournissant l'essentiel des canalisations d'eau et d'assainissement du pays, Saint-Gobain PAM peut être considérée comme une entreprise stratégique pour la «sécurité et la continuité de l'approvisionnement en eau». Et à Bercy, la direction générale des entreprises (DGE) a déjà alerté Bruno Le Maire de la «sensibilité» du dossier et du risque d'un «état de dépendance» futur de la France vis-à-vis de la Chine sur un bien public essentiel comme l'eau. D'autant que le chinois XinXing était à l'origine une entreprise sidérurgique contrôlée par l'Armée populaire de libération chinoise… Mais Saint-Gobain semble bel et bien décidé à vendre l'ancien fleuron sidérurgique lorrain.
«Saint-Gobain va bien mais…»
Début février, son PDG Pierre-André de Chalendar a annoncé un nouveau plan d'économies et de cessions de 3 milliards d'euros qui devrait entraîner des suppressions de postes et des «redéploiements» d'activité. «Saint-Gobain va bien mais Saint-Gobain pourrait aller mieux», avait-il déclaré à cette occasion. Et Pont-à-Mousson, qui perd de l'argent depuis des années, ne fait manifestement plus partie des projets du géant français des matériaux de construction qui emploie au total 180 000 personnes dans le monde et pèse près de 20 milliards d'euros en Bourse. En 2018, le groupe Saint-Gobain a de fait vu sa rentabilité piquer du nez avec un résultat net de 420 millions d'euros en fort recul (-73%) malgré un chiffre d'affaires en progrès à 41,7 milliards.
Désormais officiel, le désengagement de Saint-Gobain de Pont-à-Mousson implique donc la recherche d'un repreneur qui ne mettra pas la clé sous la porte dans la foulée. Ce qui explique que le groupe français resterait actionnaire à 40% de sa filiale PAM aux côtés du repreneur chinois. «Oui mais pour combien de temps ?» s'interrogent les syndicats. De fait, si Pont-à-Mousson a vu sa part du gâteau tomber à 10% sur le marché mondial des canalisations en fonte, c'est précisément à cause de la concurrence à bas coût des fondeurs chinois et indiens. Mais si personne ne peut dire ce que fera demain de Pont-à-Mousson un actionnaire comme XinXing, la Chine confirme son appétit pour tous les actifs stratégiques qui peuvent être rachetés en Europe. La France n'échappe pas à ces «nouvelles routes de la soie» et sur le front industriel, la Lorraine est en première ligne : en 2017, la cristallerie de Baccarat a ainsi été rachetée par le fonds d'investissement Fountain Capital, et tout récemment Daimler vient d'annoncer la délocalisation de la production de sa petite Smart électrique en Asie, suite à une joint-venture avec le chinois Geely…
Bref, le dossier Pont-à-Mousson risque de remonter rapidement en haut de la pile des dossiers sociaux à risques sur le bureau de Bruno Le Maire, juste en dessous des chemises siglées Ford, GE-Alstom, Ascoval ou Arjowiggins…