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Libération
A la barre

De l'incitation au jihad à de confus projets d’attentat, les «Soldats d’Allah» devant la justice

Rendu célèbre par un reportage de Canal+ en 2016, ce réseau, constitué de jeunes aux parcours personnels décousus, avait été arrêté après les attentats du 13 Novembre, suspecté d'un projet d'attaque sur le sol français.
Capture d'écran de «Spécial investigation, Soldats d'Allah», paru en mai 2016. (Canal+)
par Pierre Griner
publié le 10 avril 2019 à 7h13

Des «Soldats d'Allah» sont jugés à partir de ce mercredi devant le tribunal correctionnel de Paris. C'est le nom de ce réseau informel, dont trois membres, deux hommes et une femme, comparaissent pour avoir «participé à un groupement formé ou une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un acte de terrorisme». De l'incitation au jihad à de nébuleux projets d'attentat. Un quatrième homme, qui n'était pas majeur au moment des faits, a vu son dossier renvoyé devant le tribunal pour mineurs.

Ce réseau jihadiste s'était rendu célèbre en mai 2016 à la faveur d'un reportage sur Canal+. Un journaliste avait infiltré les sphères islamistes radicales pour les besoins de l'émission, six mois durant. Débuté entre les attentats de Charlie Hebdo et ceux du 13 Novembre, ce reportage en caméra cachée suivait l'évolution de ces apprentis sorciers du jihad «do it yourself», prôné comme accessible à tous.

Traumatismes

Quatre ans plus tard, plusieurs projets d’attentat ayant été déjoués et des procès d’aspirants terroristes ayant permis de mieux cerner la nébuleuse jihadiste, le reportage peut paraître moins flamboyant qu’à sa première diffusion. Mais à l’époque, il constituait un document inédit sur ces potentiels candidats au martyre : des jeunes en quête de sens, endoctrinés sur Internet ou en prison plutôt qu’à la mosquée. Le groupe, dont le procès s’ouvre désormais, rassemblait des individus dispersés entre Châteauroux, les départements de Seine-Saint-Denis et de la Somme, Roubaix, Marseille ou encore la Belgique. Tous ne comparaissent pas devant la justice française.

Ceux qui sont mis en cause aujourd'hui présentent des profils similaires. Nés entre 1994 et 1997, ils sont jeunes, ont souvent des parents séparés, des parcours scolaires décousus, des traumatismes personnels. Ils se rencontrent sur les réseaux sociaux, clé de voûte de l'organisation du groupe. Par l'entremise de leurs profils Facebook et de la messagerie chiffrée Telegram (sous des pseudonymes ou kunya, noms de combattants), les radicalisés parlent projets de mariage avec des «sœurs», échangent points de vue sur la religion, images de propagande de l'Etat islamique, films de torture et d'exécution dans la zone irako-syrienne sous le joug de Daech. A travers leur groupe de discussion «Ansar Dawla», qui rassemble une dizaine de personnes, les différents membres cherchent au départ à rejoindre le «Sham», le territoire contrôlé par l'Etat Islamique entre l'Irak et la Syrie. Face aux difficultés logistiques, la Libye, où Daech est également présent, est aussi envisagée.

«Paradis»

De 2014 à 2015, le groupe glisse progressivement d’évasifs projets de départ à une possibilité d’attaque armée sur le sol français, notamment à la suite d’un contact avec un combattant en Syrie. Surveillés pendant plusieurs mois, ils sont arrêtés peu après les attaques du 13 Novembre, à quelques semaines d’intervalle. Les perquisitions, à cette époque, permettent de mettre la main sur de multiples ordinateurs, téléphones portables et cartes SIM, témoignant à la fois de l’organisation du groupuscule et de sa paranoïa.

Sur le banc des prévenus : Cüneyt K., émir désigné du groupe. Originaire de Châteauroux, il a entre 20 et 21 ans au moment des faits. Il sympathise avec les agissements de l'EI, sans toutefois tout approuver, dénonçant notamment les frappes de la coalition au Moyen-Orient et la persécution des musulmans dans le monde. Le jeune homme caresse l'idée de se rendre en Syrie pour combattre et mourir en martyr, obnubilé par l'accession au «paradis», ses femmes, ses jardins, ses palais. En décembre 2014, il s'envole de Lyon pour Istanbul, avant d'être arrêté et refoulé par les autorités turques à la frontière syrienne. De retour en France, il prend une part active à la création et à l'animation de plusieurs groupes de discussion sur Telegram, dont «Ansar Dawla».

Puis, en Belgique, Cüneyt K. rencontre début 2015 quatre potentiels candidats au départ, qu'il aurait également tenté de recruter pour «monter une équipe» et commettre un attentat. En plus d'avoir essayé d'organiser des rencontres entre les aspirants jihadistes et de les avoir exhortés à passer à l'acte, la justice le suspecte d'avoir cherché à se procurer des armes, des faux documents d'identité, des itinéraires pour la Syrie, des cibles notamment militaires et des modes opératoires pour la commission d'actions violentes.

Munitions

Autre membre de la filière renvoyé devant le tribunal, Mehdi B., originaire de Roubaix, est suspecté d’avoir eu comme rôle, au sein du groupe, la recherche d’armes (kalachnikovs ou armes de poing) et de munitions. C’est aussi lui qui a envisagé un départ pour la Libye, via Marseille et la Tunisie.

Enfin, Inès M., troisième prévenue, est suspectée d’avoir servi d’intermédiaire entre des candidats au départ et des combattants de l’EI et du Front al-Nusra en Irak et en Syrie. Elle est aussi soupçonnée d’avoir encouragé des projets d’attentats à travers des recommandations, conseils et instructions écrites. La jeune femme est par ailleurs connue pour son rôle supposé dans le dossier de l’attentat raté à la voiture piégée, chargée de six bonbonnes de gaz, près du parvis de Notre-Dame de Paris, en septembre 2016. Dans cette autre affaire, Inès M. est suspectée d’être le cerveau d’un commando exclusivement féminin. Ces faits font l’objet d’une procédure distincte et ne seront pas jugés lors du procès qui débute mercredi.