Ce mercredi, Libé est téléchargeable gratuitement en ligne. Car vous aurez du mal à trouver l'édition du jour, comme les autres grands titres nationaux, chez votre marchand de journaux ou votre kiosquier. La distribution de la presse est en effet très perturbée par une grève au sein de Presstalis, la messagerie qui convoie les quotidiens des imprimeries aux points de vente. Le mouvement arrive en réponse à la réforme de la loi Bichet, présentée dans la matinée en Conseil des ministres. «Nous dénonçons la mort programmée du système de distribution actuel : la pluralité des idées et l'égalité de traitement entre les titres seront directement menacées», critiquait récemment la CGT-SGLCE, le puissant syndicat dont sont adhérents une grande partie des salariés de Presstalis. Certains d'entre eux se sont réunis non loin du ministère de la Culture ce mercredi pour protester. Le projet de loi de réforme devrait être discuté au Sénat le 22 ou 23 mai.
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— Syndicat général Livre et Communication écrite CGT (@SGLCE_CGT) April 9, 2019
L'un des principaux griefs de la CGT-SGLCE est «l'ouverture à la concurrence» qu'implique selon elle la réforme, annonciatrice d'une «casse sociale». Historiquement partagé entre le leader Presstalis et la messagerie MLP, le marché de la distribution de la presse, structuré depuis 1947 par la loi Bichet, pourrait voir arriver de nouveaux acteurs en 2023. Le projet de loi du gouvernement prévoit qu'à cette date le capital des messageries, actuellement détenu par les éditeurs de presse regroupés en coopératives, pourra être ouvert à des sociétés spécialisées dans la distribution comme la Poste, Géodis ou (pourquoi pas) Amazon. Des entreprises qui n'auraient sans doute pas trop de scrupules à restructurer les messageries, notamment en coupant dans les effectifs. Il faudra seulement que les sociétés volontaires obtiennent un agrément auprès de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep). Le projet de loi confie la régulation du secteur à cette autorité indépendante, au détriment des deux organismes dédiés qui avaient cette fonction jusqu'à présent. Cette disposition est également contestée par la CGT-SGLCE.
Devant quelques journalistes mardi, le ministre de la Culture, Franck Riester, qui porte la réforme, a dit vouloir «moderniser» la distribution de la presse. Compte tenu de la baisse de la diffusion des journaux et la montée en puissance des usages numériques, les volumes de papier à porter aux quatre coins de France diminuent (lire notre reportage dans un dépôt de Lyon en février 2018). Presstalis, qui enchaîne les plans d'économie et de réorganisation depuis des années, est toujours en souffrance économique, avec désormais 400 millions d'euros de capitaux propres négatifs. «Nous pensons, pour l'avenir de Presstalis, qu'il faut que l'entreprise s'adosse à un acteur de premier plan [de la logistique et la distribution, ndlr]», affirme Franck Riester. Au moins, c'est clair.
Plus de transparence pour Apple News et consorts?
Le projet de loi contient d'autres dispositions. Un volet concerne les marchands de journaux. Ils ne seront plus tenus de proposer l'ensemble des titres de presse, comme la loi Bichet les y oblige actuellement. Seule la presse dite «d'information politique et générale» (IPG, environ 45 titres), dont Libération, conservera un «droit d'accès absolu au réseau de distribution». Pour le reste, les marchands auront plus de souplesse dans la constitution de leur offre, même si leur liberté de choix sera contrainte par des négociations interprofessionnelles avec les éditeurs définissant les règles d'assortiment. «Nous voulons donner plus de marge de manœuvre aux marchands, qu'ils se sentent plus à l'aise. Cela contribuera à améliorer la facilité de gestion donc les résultats financiers des kiosques», prédit le ministre de la Culture. Une vision très optimiste des choses quand on sait la dégradation des conditions de vie et de travail des kiosquiers à mesure que la presse papier s'effondre.
Enfin, la réforme a une dimension numérique. D'une part, les éditeurs de presse IPG décrochent un droit d'accès aux kiosques numériques comme SFR Presse (détenu comme Libé par le groupe Altice) ou LeKiosk. D'autre part, le projet de loi va imposer des obligations de transparence aux «agrégateurs» de contenus d'information. Les boîtes noires que sont Apple News, Google News ou MSN devront expliquer sur quels critères ils s'appuient pour sélectionner les articles qu'ils mettent en avant, quel usage ils font des données personnelles des utilisateurs, et produire des rapports d'activité détaillés. Ce n'est pas une mince affaire : les grandes entreprises du numérique auront à dévoiler les algorithmes qui les gouvernent. Ce ne devrait pas être pour leur plaire.