C’est l’arnaque du quinquennat, présentée avec des arguments d’une impudente mauvaise foi. Le gouvernement s’apprête donc à privatiser Aéroports de Paris (ADP) au mépris de toutes les objections, de toutes les oppositions, et selon une méthode qui contredit toutes ses intentions d’ouverture sur une démocratie plus ouverte. Si l’on met de côté une subalterne affaire de trésorerie - on veut faire entrer tout de suite quelque 11 milliards d’euros dans les caisses de l’Etat, qu’on prévoit de geler néanmoins -, il n’y a dans le plaidoyer gouvernemental que sophismes et préjugés. Une entreprise privée, dit le ministre de l’Economie, sera mieux à même d’assurer la gestion de Roissy-Charles-de-Gaulle et d’Orly que l’Etat, dont ce n’est ni la fonction ni la compétence. Problème : sous cette gouvernance soi-disant contre-nature, ADP, la société gestionnaire, produit plus de 170 millions d’euros de bénéfices annuels qui abondent le budget de la nation. Drôle de mauvaise gestion ! La bonne gestion, si l’on comprend bien, consiste à faire tomber la même manne dans les poches d’un opérateur privé. C’est ce qui s’appelle prendre les gens pour des billes. On dit que la concession est transitoire. Certes : soixante-dix ans de bail, pas plus ! Quand on fera les comptes, Bruno Le Maire aura… 120 ans. On lui souhaite longue vie, mais il est probable que sa responsabilité sera dans ces temps futurs difficile à engager. Après moi, le déluge… Entre-temps, l’opérateur aura largement exploité la poule aux œufs d’or et, si l’on veut récupérer la société, il aura droit à une grasse indemnité. Etrange manière de gérer au mieux l’argent des contribuables, qui consiste à engraisser des actionnaires privés. Quiconque en doute se reportera au funeste précédent de la privatisation des autoroutes. On argue du caractère «non-stratégique» de la propriété en question. Autre baliverne : ADP occupe une emprise de quelque 6 800 hectares au cœur de la région la plus active de France, reçoit chaque année plus de 100 millions de visiteurs et constitue la principale frontière française avec l’étranger. Choses parfaitement secondaires, si l’on comprend bien. Aux Etats-Unis, pays du libéralisme débridé, les aéroports sont propriété publique, et personne ne songe à les privatiser. Est-ce un hasard ? A moins qu’on veuille, dans cette affaire, se montrer plus trumpiste que Trump.
Quant à la méthode, elle procède des mêmes galéjades. La France sort difficilement d’un affrontement social dont l’une des principales revendications porte sur une démocratie plus participative. Au même moment, un groupe de députés transpartisans propose de soumettre, dans les formes constitutionnelles, la décision à un vote populaire. Le gouvernement fait semblant de ne rien entendre sur ce point et persiste comme si de rien n’était à faire voter le texte contesté. Alors que la tenue d’un RIP, ou référendum d’initiative partagée, serait le bon moyen de tester grandeur nature cet instrument démocratique destiné à compléter le système représentatif. Consulter les Français sur la privatisation éventuelle d’un grand service public, laquelle pourrait faire précédent (on parle aussi des barrages ou de la Française des jeux) : voilà un bon moyen de «faire respirer», selon le terme consacré, la démocratie française. Il n’existe, au fond, qu’une seule voie pour contrecarrer ces absurdes projets : soutenir, par une signature, le texte du RIP quand il sera soumis à l’examen public. Il faut 4 millions et demi de paraphes selon les critères actuels, draconiens. Raison de plus pour commencer tout de suite : tout citoyen soucieux du rôle de la puissance publique dans ce pays doit épauler l’initiative des parlementaires.