Bercy et Matignon l'ont bien en tête : l'étau économique et budgétaire se resserre et réduit les possibilités du «en même temps». Avec une croissance annuelle revue à la baisse (1,4 % de 2019 à 2022 après 1,6 % en 2018 et l'inattendu 2,3 % de 2017), promettre de ne plus augmenter les impôts tout en redressant les comptes du pays ne laisse guère de choix au gouvernement : il doit faire des économies. Certes, il a déjà fait savoir à Bruxelles que les comptes seraient, d'ici 2022, un peu moins roses que prévu et a acté le financement d'une bonne partie des mesures en faveur des ménages (suppression totale de la taxe d'habitation, «annulation» des hausses de taxe carbone, retour sur la hausse de CSG pour certains retraités, augmentation et élargissement de la prime d'activité…) en revenant sur ses ambitions initiales de réduction du déficit public. Fini l'idée d'un retour à l'équilibre - voire d'un excédent - en 2022, l'exécutif se fixe la cible de - 1,2 % du PIB (c'était -2,5 % en 2018). Et encore, a prévenu Bruno Le Maire, «ce cadre […] pourra naturellement être modifié par les décisions qui seront prises» par Macron. A Bercy, on met en garde depuis plusieurs mois : «On ne s'en sortira pas sans baisser davantage la dépense publique et sans augmenter le temps de travail.» De quoi secouer (encore) la majorité.
«Travailler plus» pour financer la dépendance ?
Le gouvernement connaît la facture s'il veut garantir une prise en charge publique des plus âgés dans des établissements médicalisés : 10 milliards d'euros de plus par an. Comment trouver cet argent ? Au risque de braquer le haut commissaire chargé de la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye - au point qu'il menace de démissionner -, Edouard Philippe et plusieurs de ses ministres ont évoqué l'idée de repousser l'âge légal de départ à la retraite (62 ans depuis 2010). Sauf que le candidat Macron avait été très clair dans son programme : «Nous ne toucherons pas à l'âge de départ.»
«Il ne faut pas tout mélanger, temporise la députée LREM Bénédicte Peyrol. La réforme Delevoye doit d'abord aller à son terme. On se posera ensuite la question du financement de l'autonomie.» «Même si ce n'est pas la ligne Delevoye, le report de l'âge de départ à la retraite se pose, pousse un marcheur issu de la droite. La semaine dernière, devant le bureau exécutif du parti, le Premier ministre a dit que tout était ouvert, y compris la durée hebdomadaire du temps de travail.» Un autre participant à cette même réunion «ne [se] rappelle pas avoir entendu» Philippe «dire cela» mais confirme que «le débat [est] ouvert […] sur les pistes de financement de la dépendance».
Toucher aux 35 heures ? Voilà qui pourrait braquer davantage l'aile sociale de la majorité. En tout cas, devant les députés, Le Maire a, mercredi, longuement insisté sur le «volume global de travail […] trop faible» en France. «C'est la première fois que je l'entendais dans sa bouche, se réjouit le patron LR de la commission des finances, Eric Woerth. Je vois que les ministres évoluent. Il faut qu'ils aillent au bout !»
Economies : à combien les prochains tours de vis ?
Comme depuis le début du quinquennat, difficile d'obtenir sur ce sujet un chiffre clair de la part du gouvernement. L'exécutif s'engage seulement, en cinq ans, à «baisser de près de 3 points de PIB» (de 55 % à 52,1 %) la part de la dépense publique dans la richesse produite. Combien cela fera-t-il en euros et quels secteurs devront se serrer la ceinture ? Mystère… «Depuis deux ans, la majorité fait les mêmes économies : sur les contrats aidés et le logement, fait remarquer Woerth. Ils peuvent raconter ce qu'ils veulent sur la "transformation de l'Etat", il n'y a aucune action, aucun plan, aucun programme de réduction de la dépense. Ils ont juste la chance d'avoir plus de croissance que les gouvernements précédents et pas de crise économique.» «Macron a prévu de supprimer 50 000 fonctionnaires d'Etat d'ici 2022, il faudrait faire le double», ajoute l'ex-rapporteur général du Budget Gilles Carrez (LR).
Pour l’instant, on sait simplement que Bercy, pour couvrir une partie des 10 milliards d’euros annoncés en décembre, va demander aux administrations d’économiser 1,5 milliard d’euros de plus en 2019. Et quid des prochains exercices ? La semaine dernière, les députés LREM de la commission des finances sont sortis chamboulés d’un petit déjeuner avec Gérald Darmanin. Le ministre des Comptes publics leur a bien fait comprendre qu’il faudrait accepter d’importantes économies en 2020 et 2021.
«On connaît la situation. Mais il faut une méthode intelligente et nous ferons des propositions, défend Peyrol, qui ne veut pas rééditer l'épisode de la baisse des APL à l'été 2017. Fin 2018, nous nous sommes battus, avec les collègues, pour éviter un nouveau coup de rabot généralisé de 5 % sur tous les budgets pour financer les 10 milliards d'euros.» Pour faire des économies, le gouvernement a déjà prévu de récupérer entre 1 et 1,3 milliard par an en réformant l'assurance chômage et semble s'intéresser à certaines niches fiscales immobilières. «On ne doit pas toucher à celles qui ont une vocation sociale. Mais d'autres niches (Pinel, Scellier…) ont sans doute eu des effets inflationnistes et ne sont peut-être plus adaptées à 2019», fait savoir le député Modem Jean-Noël Barrot, pour qui l'exécutif devrait aussi penser à revenir sur certains «allégements de charges» issus de la période Hollande.
Fiscalité : à qui profiteront les baisses ?
A entendre les membres du gouvernement, les prélèvements obligatoires des Français vont baisser. Là-dessus, la majorité est OK. «Notre pays a atteint aujourd'hui une sorte de tolérance fiscale zéro. Nous devons baisser plus vite les impôts», a ainsi pointé Edouard Philippe lundi dernier, dans son discours de restitution du grand débat. Les députés LREM ont ainsi proposé d'adoucir l'entrée dans l'impôt sur le revenu avec «un abaissement du barème des deux premières tranches». En contrepartie «les plus hauts revenus» paieraient plus. Chez Darmanin, on fait remarquer que cela rejoint son idée formulée début février : «Diminu[er] le plafond global des niches» fiscales ou bien les «mettre sous conditions de ressources».
En tout cas, pour contenter l'ensemble de sa majorité et répondre aux attentes de «justice fiscale» pointées par le Premier ministre, l'exécutif va devoir démontrer qu'il demande aux plus fortunés de contribuer davantage. Et pour cause, une seule nouvelle baisse d'impôt est actée : la suppression totale, en 2021, de la taxe d'habitation. Une décision imposée par le Conseil constitutionnel qui concerne les 20 % des Français… les plus riches.