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Libération
Reportage

Européennes : Raphaël Glucksmann prêche en rose campagne

Après des premiers pas difficiles, le leader de Place publique assume le soutien du Parti socialiste, jusqu’à organiser une rencontre avec François Hollande. L’essayiste reste optimiste, malgré des sondages qui ne décollent pas.
Raphaël Glucksmann, en visite samedi à la permanence du Parti socialise des Lilas. (Photo Denis Allard pour Libération)
publié le 14 avril 2019 à 19h16

Samedi, en milieu d’après-midi : Raphaël Glucksmann arrive sur la place Charles-de-Gaulle, aux Lilas (Seine-Saint-Denis), d’un pas tranquille, paré d’une paire de Stan Smith grise et d’une veste bleue à capuche avec de grandes poches. Une délégation du Parti socialiste l’accueille. La tête de liste pour les européennes commence par arpenter les allées d’une brocante. Daniel Guiraud, maire PS de la ville depuis bientôt vingt ans, officie comme guide. Les badauds ne se retournent que trop rarement. En revanche, deux femmes, installées derrière leur stand, guettent son passage. La première lance à la seconde : «Tiens, regarde, c’est le mec de Léa Salamé.» Le fondateur de Place publique marche à son rythme, décrit son amour du PSG à un jeune homme, blague avec les membres de son équipe. Badin.

La délégation s'éloigne un instant de la brocante. Elle rejoint des militants socialistes de la section de la ville. Une petite poignée d'âmes, issues de l'ancien monde, patientent sagement sous les portraits des deux présidents socialistes de la Ve République, les deux François, Mitterrand et Hollande, qui décorent la section. Après un petit mot d'introduction, Daniel Guiraud laisse la parole à Raphaël Glucksmann et l'invite à monter sur une chaise. Comme souvent lorsqu'il s'exprime, la tête de liste PS-Place publique fait de grands gestes de la main. Du haut de sa chaise, il scande son «amour» pour l'Europe et transmet un message : «C'est le début d'une histoire enthousiasmante. Je vous le dis, nous ne devons pas raser les murs, nous ne devons pas avoir honte, on défend des valeurs nobles de gauche. Et nous devons en être fiers.» Des mots forts qu'il aurait encore été incapable de prononcer il y a quelques jours.

«Déclic»

La veille, on était installé à ses côtés, à la terrasse d'un café parisien, afin de revenir sur les premiers jours de sa nouvelle vie. Raphaël Glucksmann s'est arrêté un long moment sur la soirée du 4 avril. Ce soir-là, c'était le premier débat télévisé entre les douze principaux candidats aux européennes. La tête de liste a raté l'exercice. Il n'a pas été «acteur mais spectateur», concède-t-il. Etrangement, il a vécu ce moment comme un «déclic». Sans se cacher, il argumente : «Depuis le lancement de Place publique en novembre, j'ai toujours été entouré, je ne me suis jamais retrouvé seul. Là, durant le débat, c'était la première fois. Je me suis rendu compte que je n'assumais pas l'alliance avec le PS alors qu'il n'y avait aucune raison. Oui, je suis un social-démocrate et oui, l'écologie doit être au cœur de notre projet : les deux sont liés ! Depuis, je me sens beaucoup mieux et je m'éclate en campagne.»

Dans la foulée du débat de France 2, l'auteur des Enfants du vide (Allary Editions) a tenu son premier meeting à Toulouse, où il a avoué un truc pas commode : sa difficulté à appeler les électeurs à voter pour lui. Il a également rencontré les sénateurs socialistes. Plusieurs d'entre eux n'étaient pas très joyeux de le voir porter la liste PS. Ils poussaient pour que ce soit une tête de la maison. La peur de «l'effacement», disent-ils. L'un d'entre eux confie : «Ce n'était pas contre lui, le pauvre bonhomme ; c'était contre la stratégie du premier secrétaire. Depuis, Glucksmann prouve qu'il souhaite travailler en bonne intelligence avec nous. C'est une bonne chose, nous ne devons pas lui savonner la planche.» Néanmoins, au Parti socialiste, la rancœur ne s'efface jamais totalement. Le même sénateur prévient : «Si la liste réalise un mauvais score, Olivier Faure devra rendre des comptes.»

«rodage»

En attendant, la tête de liste, «sans perdre sa liberté», tente d'apprendre les codes. Avec la presse, il cache mal ses secrets, se livre facilement. Exemple : sa relation avec François Hollande. En tout début de mois, l'ancien président de la République déclare sur France Inter : «Je vote à toutes les élections. Je voterai pour les socialistes, je vote toujours pour les socialistes, faut-il encore qu'il y en ait.» Lorsqu'on demande à Glucksmann s'il a tenté d'entrer en contact avec Hollande, aucun mot ne sort de sa bouche, il sourit et ses yeux le trahissent. On comprend alors que les deux hommes se sont rencontrés. C'était vendredi matin, rue de Rivoli, à Paris, dans les bureaux de l'ancien chef de l'Etat. Durant plus d'une heure, ils ont parlé de l'Europe, de la montée du populisme et de «l'importance» de (re)construire une alternative «crédible» à gauche. Ils se sont promis de ne pas rompre le fil. L'entourage de François Hollande précise que c'est le petit nouveau qui a contacté l'ex-président par SMS. Ils ne se connaissaient pas avant cette rencontre.

En novembre, lors de la naissance officielle de Place publique, l'essayiste a refusé de prendre toute la place, il souhaitait partager son bout de soleil, notamment avec Claire Nouvian. Aujourd'hui, il «assume d'être un leader», de porter la parole «sans avoir peur» de décevoir. «Après mon intronisation comme tête de liste, j'ai fait des médias et j'étais très mauvais, dit-il. Je cherchais à satisfaire tout le monde. J'ai décidé d'être naturel, d'employer mes mots et je me suis retrouvé.» Pour autant, Raphaël Glucksmann ne décolle toujours pas dans les sondages. Et ne fiche pas la trouille à ses adversaires. Ils lui prédisent un scrutin douloureux. Certains voient même la liste PS-Place publique se crasher, le 26 mai, en dessous des 5 % - score minimum pour envoyer des candidats à Strasbourg. Un dirigeant écolo nous écrit : «Sa jeune carrière en politique peut se terminer rapidement. Raphaël joue gros en s'alliant à un parti qui est au plus mal et qui ne peut plus être central à gauche.»

«Romantisme»

L'ancien conseiller à la présidence de la Géorgie, lui, se raconte une autre histoire. Il compare sa trajectoire à celle de Manon Aubry, la tête de liste de La France insoumise, avec qui il entretient de «bons» rapports. «Au début, elle a eu un peu de mal, ce n'est pas simple pour une personne de la société civile de porter une liste. Aujourd'hui, elle s'en sort beaucoup mieux ; il lui a fallu une période de rodage, c'est pareil pour moi. Bientôt, je serai au top», dit-il, dans un grand sourire. Dans les jours à venir, il va multiplier les réunions publiques et les meetings à travers le pays : «Les débats, ce n'est pas trop mon truc ; par contre, je kiffe m'adresser à un public, échanger.»

Samedi soir, la tête de liste était à Pantin, en Seine-Saint-Denis, pour une fête de la Rose avec les militants PS du coin. A l'aise, il a grimpé sur scène avant le repas. Durant son discours, il s'est inquiété du match qui «s'organise» entre populistes et libéraux et a une nouvelle fois déclaré sa flamme à l'Europe. «La politique a besoin d'amour, de romantisme», a-t-il soufflé. Le président du conseil départemental, Stéphane Troussel, souriait : «Personne ne sait ce que ça va donner mais il nous fait du bien. Ses discours rassurent les militants socialistes qui avaient l'habitude de mots ronflants.» A sa descente de scène, le «romantique» a eu le droit à une rose et des selfies. Un militant s'est dirigé vers lui afin de lui prouver, portable en main, qu'il venait de lui faire une «demande en ami» sur Facebook. Il lui a fait comprendre qu'il espérait une réponse positive. Raphaël Glucksmann, un peu gêné, a esquissé un petit sourire.