C’est donc désormais fait : le juge d’instruction Renaud Van Ruymbeke vient de renvoyer devant un tribunal correctionnel parisien Rifaat al-Assad, 81 ans, oncle de Bachar (actuel taulier en Syrie) et frère de Hafez (feu l’autocrate local), pour «blanchiment en bande organisée» et détournements de fonds publics.
Pour la petite histoire, c’est l’ultime ordonnance de renvoi de «RVR», magistrat emblématique du pôle financier, sur le point de tirer sa révérence après des décennies de bons et loyaux services, sachant instruire à charge et à décharge. Pour la moyenne histoire, il est question d’une énième affaire dite des «biens mal acquis» : mais à la différence des autocrates de la Françafrique (les familles Obiang ou Bongo), vivant sur un grand pied dans la capitale française loin de la pauvreté des citoyens locaux, l’affaire Al-Assad viserait plutôt la constitution d’un trésor de guerre en vue d’un éventuel retour au pouvoir.
Largesses
D'où la troisième problématique, celle de l'éventuelle grande histoire : la justice française peut-elle s'ériger en arbitre des inélégances à travers la planète ? Dans son ultime ordonnance de renvoi en correctionnelle, Renaud Van Ruymbeke fait du RVR. Factuel, précis, sans considérations politiques ou morales. «M. Rifaat al-Assad a constitué un patrimoine immobilier important» en Europe, de plusieurs centaines de millions d'euros ( Libération du 3 avril). Puis il l'aurait «mis à l'abri via des sociétés immatriculées dans des paradis fiscaux» : Curaçao, Panama, Gibraltar, Liechtenstein et Luxembourg. Avant d'en conclure plus ou moins benoîtement : «Il est le véritable bénéficiaire économique de ces sociétés offshore, gérées en apparence par des membres de sa famille.»
La justice pénale française tranchera un jour définitivement sur ce point. En défense et en attendant, Rifaat al-Assad aura fait savoir aux enquêteurs que ses biens plus ou moins bien acquis auraient une origine saoudienne, via les largesses du prince Abdallah, tracées à ce stade à quelques petites dizaines de millions d’euros, loin des centaines de son capital immobilier accumulé depuis un quart de siècle à l’étranger - depuis son premier départ de Syrie en 1984, suspecté de fomenter un coup d’Etat contre son frère, avant d’envisager de faire de même bien des années plus tard contre son neveu.
Dissimulation
A ce titre, l'ordonnance de renvoi de RVR prend un malin plaisir à renverser cet argument en défense : «M. Rifaat al-Assad explique avoir refusé de mettre son patrimoine à son nom pour se protéger, a-t-il déclaré, "des rumeurs qu'on allait lancer en Syrie disant que l'Arabie Saoudite serait derrière moi". Il a ainsi agi dans un but de dissimulation.» Lors d'une autre audition, depuis sa mise en examen en juin 2016, tonton Al-Assad tentera également cet argument, en vain à ce stade : «En vérité, je ne sais pas ce que je possède, je suis très absent à cette vie.»
D’anciens tauliers du régime syrien ont pourtant témoigné de son appétence pour les trafics en tous genres, mais sans plus de preuves. Au passage, la Société générale, lâchant autrefois 100 000 euros par mois aux divers transporteurs de fonds en liquide de la galaxie Al-Assad en exil, échappera finalement aux poursuites pour avoir supprimé avant le gong final tous ses comptes ou mouvements suspects. Ouf.