Ils aiment leur boulot et le font plutôt bien, avec engagement et hospitalité. Et ce n'est pas rien dans ce XIXe arrondissement de Paris où les difficultés sociales, économiques et culturelles des habitants sont légion. Mais ce jour-là, le 17 avril, ils ont appuyé sur «pause». Avenue de Flandre, ils se sont entassés à l'entrée du centre médico-psychologique. «Nous, soignantes et soignants de la pédopsychiatrie publique du XIXe arrondissement de Paris, sommes de nouveau en grève», est-il écrit sur une banderole. «Cela fait plusieurs années que la pédopsychiatrie connaît de graves attaques. Nous avons décidé de nous mettre en grève et d'organiser une manifestation festive pour défendre notre secteur.»
Action bien légitime. Réponse ferme de la direction : «Vous n'avez pas le droit d'organiser la moindre chose dans les locaux.» En fin de matinée, un directeur de permanence est même venu pour mettre dehors les quelques journalistes présents. C'est anecdotique, mais le signe est inquiétant. Depuis près de trente ans, jamais la parole n'a été aussi contrainte dans le monde hospitalier. Les directions des établissements donnent des consignes insistantes de «droit de réserve», interdisant aux cadres de santé de parler. Elles menacent. Les médecins sont même inquiets. En l'occurrence la psychiatre qui dirige ce secteur de pédopsychiatrie a choisi la retenue. Et de ne pas parler de la grève.
Explosion de la demande
Alors parlons-en. Dans la planète de la santé mentale, la pédopsychiatrie, on le sait, est au bout du rouleau : manque de moyens, manque de postes, et une administration de la santé qui a du mal à intégrer le fait qu'en la matière, «ce qui compte c'est le temps et le lien». Cette équipe du XIXe croule sous le travail. En vingt ans, la population de l'arrondissement a augmenté de 20%, les difficultés sociales se sont aggravées en proportion. Et la demande a explosé. Dans les trois centres médico-psychologiques du secteur, le temps d'attente pour un premier rendez-vous varie entre trois mois et un an pour des adolescents. Dans le centre de l'avenue de Flandre, 140 enfants sont sur une liste d'attente. «Dans notre quartier, les familles n'ont pas d'argent pour aller dans le libéral, explique une infirmière. Alors tout s'aggrave.» La cheffe de service, Catherine Zitoun, raconte les difficultés quasi insurmontables pour trouver un lit, en l'occurrence pour une fille de 13 ans violente, suicidaire. «La demande a été faite en septembre, peut-être qu'en mai elle aura un lit», lâche la psychiatre.
Au CMP de l'avenue de Flandre, trois psychiatres travaillaient avant, il n'y en a plus qu'un. Les postes d'orthophonistes ? Il y avait deux temps plein, il n'y en a en plus qu'un, et il en manque désormais trois sur l'ensemble du secteur. «J'ai connu un burn-out, reconnaît une psychiatre, tant la pression est forte et le temps nous manque.» Une infirmière constate : «On pourrait ouvrir un CMP en face, en quelques jours il serait aussitôt plein.»
«On a l’impression d’être surveillés»
Pourtant, bizarrement, l'ambiance est bonne. Et cela se sent. Cette journée est détendue. «On fait des choses, on est inscrits dans le quartier», explique une psychomotricienne. Une autre : «Il y a une envie de travailler.» Ici, on est loin des querelles idéologiques sur l'autisme. «On fait de tout, toutes sortes de pratiques, car on a besoin de tout», précise une orthophoniste. «Mais le problème, insiste une psychologue, c'est que tout se délite. Pour les jeunes enfants, on n'a ni le temps, ni la place. Et on voit des enfants si jeunes, dès la sortie de la crèche, qui vont bien mal.» Devant ces difficultés, une psychologue, non sans justesse, remarque avec tristesse : «Plutôt que de nous aider, que fait la direction ? Une baisse des budgets de formation de 50%. On nous a mis un agenda électronique où l'on a l'impression d'être surveillés.»
Drôle de monde où plutôt que de s’entraider, les uns se méfient des autres. A Paris, tous les hôpitaux et secteurs de psychiatrie sont désormais regroupés dans un seul groupe hospitalier universitaire (GHU). Cela aidera-t-il à une meilleure utilisation des moyens ? Au CMP de Flandre, on en doute. Faut-il rappeler qu’aujourd’hui une orthophoniste, après cinq ans d’études, débute avec un salaire de 1 350 euros nets par mois ? Et une psychomotricienne, pareil.