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Municipales

LR à Paris : «Je n’ai jamais vu des gens qui se détestent autant»

A un an des municipales, le parti reste dépourvu de tête de liste évidente dans la capitale. Prise entre ses vieilles rancœurs et le siphonnage mené par LREM, la droite se disperse entre ceux qui se font désirer, comme Edouard Philippe, ceux dont personne ne veut, comme Rachida Dati, et ceux qui attendent leur heure, comme Jean-Louis Borloo.
Rachida Dati fin mars dans le XVIIIe. (Photo Olivier Coret. Divergence)
publié le 22 avril 2019 à 17h06

Une invitation à déjeuner pour un petit coup de sonde. En ce début avril, c’est au Laurent, le restaurant des Champs-Elysées où se croise le gotha parisien des arts et des affaires, que l’ex-ministre Jean-Louis Borloo convie le sénateur LR de Paris Pierre Charon. S’ils s’attablent dans une alcôve en retrait, les deux hommes savent que le lieu est peu propice aux rencontres discrètes. Mais ni l’un ni l’autre ne voient tellement d’inconvénient à ce que le tout-Paris bruisse d’une conversation où la future bataille municipale tient la vedette. C’est que l’ancien patron de l’UDI s’intéresse de près aux soubresauts qui agitent la droite parisienne à un an du scrutin. Que son nom circule comme recours potentiel quand tous les autres seront épuisés n’est pas pour lui déplaire.

Son interlocuteur écoute attentivement. Le scrutin à venir le concerne aussi, par ricochet. Comment pourrait-il espérer conserver son fauteuil de sénateur lors du renouvellement de la Haute Assemblée en 2020 si ses amis étaient balayés du Conseil de Paris ? L'ancien conseiller de Sarkozy se méfie quelque peu des élans de Borloo : lors des primaires UMP de 2014, l'ex-maire de Valenciennes avait in extremis fait faux bond à ses soutiens en renonçant à se présenter. Mais l'entrée en scène de l'ancien ministre d'Etat avec lequel, après l'avoir humilié lors de la présentation du «plan banlieue», Macron tente de se rabibocher, pourrait bien rebattre les cartes. A défaut, cela devrait corser encore une situation «chaque jour plus insaisissable», de l'avis de Jean Legaret, maire LR du Ier arrondissement. Il résume le sentiment général : «Si le désordre continue de se propager, il faudra bien que quelqu'un siffle la fin de la récré et appelle au rassemblement.»

Rescapés

C'est qu'au sein de LR Paris, rien ne va plus. Le petit-déjeuner partagé avec Laurent Wauquiez le 5 décembre a plombé l'ambiance. Aux parlementaires de la capitale, maires d'arrondissement et responsables de la fédération conviés ce jour-là au siège, le patron du parti a exposé sa ligne : pas question que LR n'ait pas de candidat dans la bataille pour la première ville de France. Façon pour Wauquiez d'enterrer le scénario que privilégie une majorité de barons parisiens : soutenir dans la campagne municipale le protégé de Charon, Pierre-Yves Bournazel, qui, élu député du XVIIIe avec le soutien d'Edouard Philippe, a quitté LR en septembre 2017 pour rejoindre Agir, le parti refuge des juppéistes. «Wauquiez a besoin d'un candidat LR qui soit compatible avec sa ligne nationale d'opposition à Macron et son ambition présidentielle», enrage l'entourage de la très modérée maire LR du IXe, Delphine Bürkli. «Mais si l'on veut tourner la page de dix-neuf ans de gauche à Paris, nous devons faire alliance avec La République en marche.» Impensable pour Wauquiez : vu la visibilité de la campagne municipale à Paris, toute sa stratégie nationale risquerait d'en être brouillée.

C'est peu dire que le «diktat» du chef prend ses généraux parisiens à rebrousse-poil. Tous ont en mémoire la déferlante macroniste qui, en juin 2017, les a privés de quatre sièges sur les six qu'ils occupaient à l'Assemblée nationale. A commencer par Philippe Goujon, le toujours maire du XVe, sèchement battu par une ancienne conseillère parlementaire UMP ralliée à LREM, Olivia Grégoire. Même les rescapés des législatives parisiennes, alors encore maires des très bourgeois XVIe et XVIIe arrondissements, Claude Goasguen et Brigitte Kuster, avaient senti le vent du boulet dans des fiefs pourtant réputés inexpugnables. A l'exception de l'actuel maire du XVIIe et coanimateur de la fédération LR à Paris, Geoffroy Boulard, et de la maire du VIIe, l'ex-garde des Sceaux Rachida Dati, les édiles en place sont loin d'être convaincus que leur étiquette partisane sera un atout électoral dans la campagne à venir… Une situation qu'un conseiller centriste de Paris résume trivialement : «La vérité, c'est qu'ils font tous dans leur froc. Chacun en a pris conscience : l'affrontement bipartite a vécu. C'est à Paris que Macron a fait l'un de ses meilleurs scores à la présidentielle. Là aussi que son parti est le mieux structuré et ses militants mobilisés. L'offre politique est totalement éparpillée entre la gauche, le centre et la droite.» Si les choses tournent vraiment mal, il n'est pas totalement exclu que LR soit rayé de la carte parisienne à l'issue du scrutin de mars…

«Elle vient de la lune»

Après deux décennies d'opposition, face à Delanoë puis Hidalgo, la «sédimentation de haines successives» mine la droite parisienne. Même Laurent Wauquiez n'en revient pas : «Ça fait vingt ans que je fais de la politique et je n'ai jamais vu des gens qui se détestent autant», se pince le patron de LR au souvenir de l'altercation qui, le 5 décembre, a éclaté entre Claude Goasguen et Rachida Dati. C'est que Bournazel passé à la trappe, la seconde a le champ libre. Or, pour le député de Paris comme pour la plupart de ses amis, pas question de confier la tête de liste à Dati. Quand le 5 mars, celle-ci se porte officiellement candidate à l'investiture, le tir de barrage est général. «Cette candidature ne m'enthousiasme pas, confirme Goasguen à Libération. Dati incarne l'ancien système. D'accord, elle est connue. Parfois même trop connue…» Un rejet partagé bien au-delà du XVIe : «C'est une candidate catastrophique pour 80 % des élus de la droite parisienne : elle se distingue plus par son individualisme que par sa volonté de rassemblement», s'enflamme un élu de Paris décidé à ne plus payer sa cotisation à LR. Un autre grince : «En cinq ans, on ne l'a presque jamais vue au conseil de Paris. Quand elle n'est pas à Strasbourg ou Bruxelles, elle arrive à 9 heures du matin en survet et lunettes noires pour signer la feuille de présence et elle se tire…» La maire du Ve et présidente du groupe LR et indépendants au conseil de Paris, Florence Berthout, n'est pas plus enchantée : «La tête de liste LR à Paris doit faire l'objet d'une cooptation collective, avertit-elle. Il n'y aurait rien de pire qu'une commission nationale d'investiture qui validerait un choix qui n'est pas porté par le collectif des élus…» Aucun pourtant ne fait mine de se replier sur l'autre candidat à l'investiture déclaré : le maire LR du VIe, Jean-Pierre Lecoq.

Face à la mitraille, Dati ne désarme pas. Forte des bons sondages que lui assure sa notoriété, elle obtient de Valérie Pécresse un soutien public : «Je pense que c'est une bonne candidature», affirme le 1er avril sur BFM TV la présidente de la région Ile-de-France dans l'espoir d'éviter la guerre fratricide. Pas gagné. Car l'entrée en piste de Dati n'a pas clos le bal des prétendants. Le 8 avril, Marie-Claire Carrère-Gée, simple élue d'opposition du XIVe, dévoile son ambition à la surprise générale. La chiraquienne, entrée au conseil de Paris en septembre à la faveur de la démission de Nathalie Kosciusko-Morizet, est étiquetée poids léger : «Elle vient de la lune», tacle un de ses collègues parisiens. Le signal pourtant n'est pas bon. Le rejet dont Dati fait l'objet pourrait encourager toutes les audaces d'ici à ce que la commission nationale d'investiture rende son verdict en septembre. «C'est certain : il y aura d'autres candidatures…» parie un pilier de la droite parisienne en se frottant les mains. De quoi entretenir le «bordel» quelques semaines. Le temps que d'autres alternatives décantent.

En aparté, la plupart des caciques de la droite parisienne le confessent sans ambages : si Edouard Philippe entrait dans la course, ils le rallieraient dans l'instant. Qui mieux que le chef de la majorité, pas encarté chez LREM et toujours ouvertement «de droite», peut fédérer une liste de rassemblement susceptible de déboulonner Hidalgo ? Même le député Agir Pierre-Yves Bournazel, candidat déclaré à la mairie de Paris, se dit prêt à s'effacer dans un tel cas de figure… Cet assaut d'amabilité, Matignon ne l'a longtemps pas découragé. Face à ses visiteurs parisiens, Edouard Philippe entretient savamment le mystère sur ses intentions. «Aux uns, il disait blanc, aux autres gris et aux troisièmes noir, sourit un proche du Premier ministre, ceci en parfaite concertation avec le Président.» Telle ambiguïté met à l'époque un autre homme sur le gril : l'alors porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux, qui brigue en sous-main l'investiture de La République en marche pour Paris. Un «leurre» avait assuré à l'automne l'entourage de Philippe aux élus LR inquiets à l'idée d'un affrontement tripartite brutal dans la capitale. Et d'argumenter : «Tant que Griveaux est au gouvernement, il est pieds et poings liés.»

Conscient du piège, le porte-parole piaffe dès janvier pour obtenir son bon de sortie. Fin mars, à la faveur du remaniement qui libère la ministre Nathalie Loiseau, désignée tête de liste aux européennes, c'est chose faite. le signal envoyé est clair : si le chef de l'Etat laisse partir Griveaux, c'est qu'il lui a donné le feu vert pour Paris. Une douche froide pour les barons de la droite parisienne. Leur espérance de voir Philippe descendre dans l'arène parisienne se mue illico en «vague espoir». Lequel est d'autant plus mince que l'entourage du Premier ministre dément dès lors clairement toute envie de parachutage dans la capitale. Privés de leur candidat rêvé, les vieux grognards de LR se cherchent un nouveau héraut. Jean-Louis Borloo l'a bien compris…