Ça s'en va, et ça revient. Depuis son score à la présidentielle (19,6%), Jean-Luc Mélenchon joue au yo-yo avec la gauche. Des bisous, des embrouilles, de la distance et des câlins. Ces dernières semaines, il semble disposer à discuter sur le fond. Il donne rendez-vous après les européennes, en mai. Le tribun joue gros dans les urnes. Il doit arriver en tête pour garder la main, imposer le rythme et les discussions. Un candidat écolo aux européennes : «Le 26 mai, les compteurs seront remis à zéro et si les insoumis se ratent, ils ne pourront plus faire le coup de l'après-présidentielle. Terminé la période où l'on devait choisir entre être avec eux ou contre eux.»
Jean-Luc Mélenchon a déjà eu l'occasion de rassembler toute la gauche autour de son mouvement. Au soir du premier tour de la présidentielle, il se pointe face à la presse avec un goût d'inachevé. Le regard est noir, le verbe est cru. La porte du second tour n'a jamais été aussi proche. Derrière son écran, le patron du Parti socialiste, Jean-Christophe Cambadélis, a la tremblote. «Il avait le choix entre Beppe Grillo le populiste et Mitterrand le rassembleur. Le choix entre nous laisser en vie ou nous tuer… et il a opté pour la première option», raconte-t-il. Coup de bol pour les socialistes. Leur ex-camarade ne profite pas de sa position de force et jette à la mer les alliances avec les autres familles de gauche pour les législatives. «Pas de tambouilles», argumente-t-il. Le train passe une première fois, mais le chef des insoumis n'est pas fan du hasard. Il planifie tout au centimètre près.
«Courtiser». Quelques mois après, il nous explique : «Avant de m'aventurer, je devais solidifier ma base. Sept millions d'électeurs, ce n'est pas rien ! Je ne pouvais pas prendre le risque, le soir de l'élection, de m'allier avec des personnes avec qui j'ai des profonds désaccords, ce n'était pas possible pour les insoumis, pas possible de signer une feuille sur un coin table, les gens ne veulent plus de cette politique.» Un an plus tard, en mai 2018, Jean-Luc Mélenchon se confie à Libération - une première depuis des années - et ouvre en petit ses portes. Le député fait un pas en direction de la gauche : «Un peu de bienveillance, est-ce possible ?» Il attend les réactions, des réponses… En vain. Personne ne moufte. Alors que l'ancien candidat à l'Elysée estime que son score de la présidentielle doit lui valoir le respect et que tout doit se faire autour de lui. Il rêve d'entendre les socialistes admettre que sa rupture avec eux en 2008 était judicieuse et juste à la fois. Il n'aura rien.
Qu'importe les doutes, Jean-Luc Mélenchon ne lâche pas l'affaire. Septembre 2018 : le leader de La France insoumise profite de son invitation à l'université de Nos Causes communes, mouvement créé par Emmanuel Maurel et Marie-Noëlle Lienemann pour faire ami-ami avec ses anciens camarades socialistes. Un premier affichage public depuis son départ du PS dix ans plus tôt. Au parc des expositions de Marseille, devant les militants, manches retroussées, Jean-Luc Mélenchon laisse parler ses émotions. «Je ne suis pas venu ici vous courtiser, ni vous reprocher vos anciennes erreurs, car vous pourriez me faire remarquer que j'en ai partagé beaucoup», dit-il dans un premier temps. Puis : «J'ai le cœur plein d'enthousiasme si vos chemins viennent en jonction des nôtres. Que finisse cette longue solitude pour moi d'avoir été séparé de ma famille. Mes amis, vous me manquiez.» Des mots forts qui surprennent l'auditoire.
Son pari est en marche. Quelques semaines plus tard, Emmanuel Maurel et Marie-Noëlle Lienemann annoncent leur départ du PS, se rapprochent des insoumis, et les yeux de Mélenchon pétillent.
Réaliser. Mais le tableau va vite se noircir. En octobre, une quinzaine de personnes, membres ou proches de la galaxie LFI sont perquisitionnées dans le cadre de deux enquêtes préliminaires ouvertes par le parquet de Paris. Lors de la perquisition au QG des insoumis, rue de Dunkerque, le député force le passage. Pas banal, en France, de voir des élus s'opposer physiquement à des policiers qui appliquent une décision de justice. La perquisition se termine avant son terme. Les images font le tour du pays. Celle du tribun en prend un coup. Une partie de la gauche se frotte les mains.
Mais un autre épisode va redistribuer les cartes. Des citoyens sans étiquette qui squattent le pavé pour faire tomber «Jupiter» et changer les règles du jeu démocratique ? Un cadeau venu du ciel. Même dans ses plus beaux songes, Jean-Luc Mélenchon ne l'avait pas imaginé. Il répète à l'envi que le mouvement des gilets jaunes est une «révolution citoyenne», la première de sa longue carrière politique. «Une nouvelle France sous nos yeux», clame-t-il, avant d'écrire une lettre pleine d'amour à l'un des leaders, Eric Drouet. Evidemment, il veut en être. Tous les samedis, les députés insoumis manifestent avec un gilet jaune sur le dos. Mais le mouvement ne lui permet pas de squatter le haut des sondages.
Alors qu'on ne s'attendait pas à un revirement, que l'heure est au populisme, Jean-Luc Mélenchon revient sur sa gauche. Le 10 avril, en meeting à Amiens en compagnie de François Ruffin et Manon Aubry, le chef des insoumis évoque le rassemblement. Il craint, comme c'est déjà le cas en Italie, l'effacement total de la gauche - un mot qu'il ne prononce plus. En coulisses, le tribun dessine son mouvement comme un pôle central, capable de mettre au tapis Macron. Mais Mélenchon le sait, il ne sera pas simple de réaliser son objectif tout seul, comme un grand. Pourra-t-il reprendre langue avec toute la gauche ? Il fait son retour dans les colonnes de Libération et lance un appel pour créer une «fédération populaire». Reste à savoir qui sera en position de force le 26 mai à la sortie des urnes. Les insoumis sont sûrs de leur coup.