«Travailler davantage», une «nécessité» ? Emmanuel Macron va devoir préciser ce jeudi ces quelques mots tirés du texte de son allocution télévisée avortée pour cause d'incendie de Notre-Dame de Paris. Ou comment trouver plus de 10 milliards d'euros dans l'activité des Français pour financer à la fois la future réforme de la dépendance mais aussi une partie de la baisse d'impôt sur le revenu que le chef de l'Etat s'apprête à confirmer devant les journalistes. Passage en revue des solutions qui s'offrent à l'Elysée et qu'une partie de sa majorité a déjà fait vivre sous forme de ballons d'essais.
Reporter l’âge de départ à la retraite
Jusqu'à fin mars, il n'y avait pas de sujet. Le gouvernement, sous la houlette du haut-commissaire Jean-Paul Delevoye, était chargé de mettre sur pied pour 2025 un nouveau système de retraites «universel» et «par points». Promis : l'exécutif ne toucherait pas à l'âge légal de départ (fixé à 62 ans depuis 2010). C'était sans compter la petite musique entretenue par plusieurs ministres (Buzyn, Darmanin, Le Maire…) et le chef du gouvernement en personne. «Savoir s'il faut travailler plus longtemps pour […] finance[r] ces besoins considérables d'investissement et de prise en charge, de la diminution du reste à charge, est une question parfaitement valide»,a ainsi estimé Edouard Philippe. De quoi faire enrager Delevoye - qui a menacé de démissionner - et bousculer une majorité qui ne s'attendait pas à devoir se coltiner ce sujet explosif.
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Le Medef a fait ses calculs : décaler l'âge légal pour le porter à 64 ans rapporterait, en théorie, 17 milliards d'euros. Selon le haut-commissariat à la réforme des retraites, plutôt 12 milliards. «Mais ce serait repousser le problème plutôt que de le régler comme on souhaite le faire avec le futur système universel, dit-on chez Delevoye. Notre objectif est d'accompagner, d'inciter les personnes à partir à 63, 64 ans. On aimerait d'ailleurs savoir comment le Medef compte encourager le travail des seniors.» Et pour cause : seulement un retraité sur deux passe directement de l'emploi à la retraite sans avoir connu le chômage ou la maladie. Quant aux 50 ans ou plus, ils représentent un quart des demandeurs d'emploi sans aucune activité inscrits à Pôle Emploi.
Dire adieu aux 35 heures
Edouard Philippe ne s'en est pas caché, début avril, devant la direction de La République en marche (LREM) : pour s'attaquer correctement au «travailler plus», le gouvernement doit tout mettre sur la table, y compris le sujet des 35 heures, vieux serpent de mer de la droite depuis leur instauration par les lois Aubry de 1998 et 2000. Sauf que le sujet n'a jamais figuré dans le programme de la majorité. D'autant que la loi El Khomri (2016), puis la réforme du code du travail par ordonnances (2017) ont assoupli les 35 heures, en permettant de moduler davantage le temps de travail et en réduisant pour les entreprises le coût des heures supplémentaires. Ces dernières peuvent désormais, en cas d'accord d'entreprise, être majorées à seulement 10 %. Résultat, dans les faits, la durée de travail à temps plein des Français est donc déjà, en moyenne, bien supérieure aux 35 heures théoriques, soit 151,67 heures par mois ou 1 607 heures par an.
En 2018, selon la Dares, organisme de statistiques rattaché au ministère du Travail, la durée habituelle moyenne (soit les heures réalisées lors d’une semaine normale - sans événements exceptionnels comme des jours fériés ou des congés) était de 39,1 heures pour les salariés à temps plein et de 36,2 heures hebdomadaires si on intègre les temps partiels. Lissée sur l’année, une fois les jours chômés soustraits, la durée effective de travail est, toujours selon la Dares, de 1 679 heures pour les salariés à temps plein. Donc là aussi, au-delà des 1 607 heures annuelles du cadre légal (1 549 heures, si l’on y ajoute les salariés à temps partiel).
Pas de quoi rougir, donc, au niveau international. Ainsi, selon une comparaison publiée en 2018 par le ministère du Travail, la durée habituelle hebdomadaire moyenne en France était, en 2016, de 36,3 heures, très proche de la moyenne européenne (36,4 heures). Plus que l’Allemagne (34,8), le Danemark (32,3) ou encore l’Italie (35,5) et les Pays-Bas (29,3).
La France étant loin d'être le bonnet d'âne européen et compte tenu des dérogations déjà accordées aux entreprises en matière de temps de travail, les marges de manœuvre du gouvernement sur ce terrain-là sont donc limitées. D'autant qu'un allongement de la durée hebdomadaire légale du travail pourrait avoir un effet collatéral qui n'arrangerait pas du tout l'exécutif : elle annihilerait en partie la défiscalisation des heures supplémentaires mise en place depuis le 1er janvier et censée améliorer le pouvoir d'achat. De plus, selon une note de France Stratégie datée de 2017, «une augmentation de la durée du travail» pourrait «entraîner à court terme une hausse du chômage». Selon l'organisme rattaché à Matignon, «les entreprises [aurait alors] tendance […] à ajuster leur cible de main-d'œuvre à la baisse». Et ce n'est qu'à moyen terme que l'éventuel gain de compétitivité pourrait avoir des effets positifs sur la production et l'emploi.
Supprimer un jour férié
«Un jour supplémentaire travaillé pour des mesures en faveur de nos aînés.» C'est une des propositions formulées début mars par le délégué général de LREM, Stanislas Guerini, dans le cadre du grand débat national. «Un premier pas nécessaire», a ajouté depuis la députée macroniste Aurore Bergé. Porte-parole du parti, elle a plaidé dans le JDD pour «la création d'une nouvelle journée de solidarité».
L'idée n'est pas nouvelle : en 2004, le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, avait décidé d'une «journée de solidarité», destinée à financer certaines dépenses en direction des personnes âgées ou handicapées. En 2018, ce jour de travail non rémunéré pour les salariés - initialement fixé le lundi de Pentecôte et désormais choisi librement - a rapporté 2,42 milliards d'euros à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie. Selon Bercy, supprimer un nouveau jour férié rapporterait «3 milliards». Mais, alerte un parlementaire de la majorité, «c'est une très mauvaise idée, En décembre [avec les gilets jaunes, ndlr], on a senti le vent du boulet. Politiquement, je ne vois pas comment on peut demander aux Français de travailler un jour de plus».
Certains députés LREM ont une autre idée, plus technique, plus tardive mais plus indolore : maintenir la CRDS au-delà de sa date d’extinction prévue en 2024. Cette «contribution pour le remboursement de la dette sociale», soit les prélèvements pour combler le trou de la Sécu, devrait rapporter en 2019 près de 8 milliards d’euros.