Le Bastion social, mais aussi les Petits Reblochons, l'association Lugdunum, le cercle Frédéric-Mistral, le cercle Honoré-d'Estienne-d'Orves, l'association Arvernis et Solidarité Argentoratum : sept associations d'ultra-droite ont été dissoutes ce mercredi en Conseil des ministres. Toutes émanent de la première, le Bastion social, fondée en mai 2017 par des anciens du GUD, organisation étudiante d'extrême droite née à Assas dans les années 70. Ses membres avaient alors lancé l'occupation d'un local à Lyon pour héberger des personnes en situation de précarité, avec un mot d'ordre : «Les nôtres avant les autres.»
Ce «mouvement néofasciste mouvementiste, c'est-à-dire privilégiant l'activisme et l'intervention sociale sur la politique électorale», selon les termes du politologue spécialiste de l'extrême droite Jean-Yves Camus, a ensuite donné naissance à d'autres locaux, à Aix-en-Provence, Chambéry, Marseille ou encore Strasbourg. Ce sont ces déclinaisons locales dans chacune des villes qui ont été dissoutes mercredi en même temps que le vaisseau amiral. Selon les estimations du chercheur, ces différentes structures regrouperaient environ 300 personnes.
«Engagement tenu. Le Conseil des ministres a prononcé ce jour la dissolution de l'association Bastion social qui incitait à la violence raciste et antisémite», s'est félicité le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner.
Engagement tenu.
— Christophe Castaner (@CCastaner) April 24, 2019
Le Conseil des ministres a prononcé ce jour la dissolution de l’association « Bastion social » qui incitait à la violence raciste et antisémite.
Contre les discriminations, face à toutes les haines, restons vigilants, unis et mobilisés. pic.twitter.com/msCqnmB0zB
Fin février, lors d'un dîner du Crif marqué par la recrudescence des actes antisémites, Emmanuel Macron avait en effet promis «des procédures visant à dissoudre des groupements qui nourrissent la haine».
Si la Constitution «n'exige pas des mouvements politiques qu'ils se conforment aux principes qu'elle pose dès ses premiers mots : une République indivisible, laïque, démocratique et sociale», depuis 1936, le Conseil des ministres peut dissoudre par décret toutes les associations «qui provoquent à des manifestations armées dans la rue», «ont pour but de porter atteinte à l'intégrité du territoire national», constituent des «groupes de combat ou de milices privées» ou appellent «à la discrimination, à la haine ou à la violence». Le texte a d'ailleurs été voté en réaction au développement des groupes d'extrême droite dans les années 30. Depuis ont notamment été dissous l'OAS en 1961, Occident en 1968, Ordre nouveau en 1973 ou encore les Jeunesses nationalistes révolutionnaires en 2013, après le meurtre de Clément Méric.
«Soirée de bilan»
L'annonce faite par Christophe Castaner à l'issue du conseil des ministres vient confirmer un processus déjà bien amorcé. «Le Bastion social avait confirmé sa cessation d'activité. L'affaire était jouée», explique Jean-Yves Camus. Le 26 mars, l'antenne d'Aix-en-Provence avait ainsi organisé une «soirée de bilan». «Cette dissolution, c'est pour essayer de casser toute volonté populaire de soulèvement», veut croire Steven Bissuel, ex-leader du mouvement, condamné fin mars pour «provocation à la haine raciale et à la violence en raison d'une origine ethnique, en état de récidive légale», interrogé par l'AFP.
Selon Mediapart, la dissolution était en fait en préparation avant le dîner du Crif. Une enquête aurait été ouverte dès le 1er décembre, jour de l'«acte III» des gilets jaunes. Le mouvement avait alors appelé à «recréer le chaos» à Paris. La dissolution aurait ainsi été motivée par des soupons d'incitation à la constitution d'un groupe armé. Le communiqué du ministère de l'Intérieur justifie de son côté sa décision par la volonté de «mettre un terme aux actions discriminatoires menées par ces associations ainsi qu'à leurs incitations à la violence raciste et antisémite» mais aussi de «mettre fin aux exactions répétées commises en marge de rassemblements de voie publique».
«En France, on ne dissout qu'en dernier ressort, affirme Jean-Yves Camus. Le droit est assez protecteur de la liberté d'association. Si la dissolution est contestée, il faut des faits précis pour étayer la mesure. Il est difficile de constituer juridiquement les appels à la haine.» La tâche pourrait d'ailleurs s'avérer plus compliquée avec le groupe Génération identitaire, dont l'exécutif étudie également la dissolution.
Hydre
Juridiquement délicate, l'opération est aussi risquée politiquement. Outre le fait que la démarche donne du crédit au discours victimaire de ce genre de mouvement, elle peut induire une forme de clandestinité échappant ainsi à tout contrôle. Autre problème : le phénomène de l'hydre, dont la tête repousse doublement une fois coupée. Interrogé par Libération en juin, alors que les députés insoumis avaient présenté une proposition de résolution visant à «dissoudre les groupuscules d'extrême droite», l'historien Jean Garrigues expliquait : «Ce que nous a appris la dissolution de ces groupes, c'est qu'ils s'étaient reconstitués. Certains de leurs leaders ont même été élus à des élections locales».
Dans le viseur des parlementaires de La France insoumise, des groupes tels que la Ligue du midi, le GUD, Génération identitaire, l'Action française ou encore le Bastion social. Parmi les faits d'armes de ces groupes, cités par la résolution : des agressions dans des facs occupées (à Montpellier, Strasbourg, Lille ou encore Tolbiac à Paris), le blocage de la frontière franco-italienne dans les Hautes-Alpes par des militants de Génération identitaire, prétendant bloquer le passage aux migrants, mais aussi des menaces envers certains parlementaires. La proposition avait finalement accouché d'une commission d'enquête sur la lutte contre les groupuscules d'extrême droite au Parlement. Ses conclusions sont attendues en juin.