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Libération

Après vingt-six ans de détention, Jean-Claude Romand va être libéré

publié le 25 avril 2019 à 20h56

Depuis 2015, il aurait pu prétendre à un horizon sans grillage ni miradors. Mais il n’en a fait la demande qu’en septembre. Les magistrats du tribunal d’application des peines de Châteauroux (Indre) ont alors vu arriver sur leur bureau un fragment d’histoire criminelle, un dossier estampillé «Jean-Claude Romand».

«En dépit de son parcours d'exécution de peine satisfaisant, les éléments du projet présenté et de sa personnalité ne permettent pas, en l'état, d'assurer un juste équilibre entre le respect des intérêts de la société, des droits des victimes et de la réinsertion du condamné», avaient-ils estimé, rejetant sa demande de libération conditionnelle en février. Néanmoins, jeudi, la cour d'appel de Bourges a décidé d'ouvrir les portes de la prison de Saint-Maur au détenu. Après avoir purgé une peine de perpétuité assortie de vingt-deux ans de sûreté, Jean-Claude Romand va être libéré. «C'est imminent mais sans doute pas aujourd'hui», a précisé son avocat, MJean-Louis Abad, à l'AFP.

L'histoire tiendrait presque en une seule phrase, celle qui sert d'incipit à l'ordonnance de renvoi devant la cour d'assises : «Le samedi 9 janvier 1993, Jean-Claude Romand assassinait sa femme et ses deux enfants, ses père et mère, avant d'essayer, en vain, de tuer celle qui aurait été son ancienne maîtresse.» Voilà. Un homme a méthodiquement tué tous ceux qu'il aimait. Lors du procès en 1996, les jurés chercheront à percer le mystère de ce fils unique de forestiers du Jura qui s'est embringué dans une vie d'imposture. Toute une existence bâtie avec des «comme si» - un travail à l'Organisation mondiale de la santé, des relations haut placées, des colloques à l'étranger - alors qu'il passait ses journées, seul, dans sa voiture-bureau. Romand ne donnera pas vraiment d'explications, bredouillant seulement : «Un premier mensonge en appelle un autre, et c'est pour la vie.»

A l’issue de son procès, il laissera derrière lui la béance de l’incompréhension. S’y engouffreront des romanciers (Emmanuel Carrère) et cinéastes (Laurent Cantet, Nicole Garcia), s’emparant de cette existence déjà fictive pour tenter d’y chercher une vérité universelle. Comme si - avec cette prédisposition patronymique - Jean-Claude avait poussé à l’extrême ce qui existe en chacun, fait de la banale tricherie un art de vivre, des arrangements avec la réalité, une routine, et des petites compromissions personnelles, une grande mystification. Un «je» de dupe. Finalement, plus encore que l’empreinte de son crime, il a laissé dans l’histoire celle de son imposture.

Au début de sa peine, Jean-Claude Romand envoyait des passages de Camus à sa visiteuse de prison, dont cet extrait de la Chute : «Le mensonge est un beau crépuscule qui met chaque objet en valeur. On voit parfois plus clair dans celui qui ment que dans celui qui dit la vérité.» Désormais, l'homme de 65 ans, qui sera placé sous surveillance électronique pendant une période probatoire de deux ans, va ressortir dans un monde de la transparence, un monde où l'on exige la vérité«les yeux dans les yeux».