Lorsqu'on tape le mot «lesbienne» dans le moteur de recherche Google, n'apparaissent que des sites pornographiques. Le mot «gay», lui, renvoie d'abord vers une page Wikipédia et des adresses de bars gays. C'est le triste constat qu'a fait Numerama il y a quelques jours. Véronique Godet, coprésidente de SOS Homophobie, tente d'expliquer le tabou qui entoure ce mot.
Quelle est l’histoire de ce mot ?
Lesbos [une île grecque, ndlr] et Sappho représentent des symboles dans l'imaginaire des lesbiennes. Sappho était la première poétesse à évoquer des amours féminines, qu'on a par la suite appelées amours saphiques ou lesbiennes. Il y a une poésie dans ce terme, qu'on trouve dans des représentations féminines mais qui est totalement censurée chez les hommes. J'ai tapé «littérature lesbienne» sur internet, je suis tombée sur un site qui la présentait comme de la «littérature homosexuelle». Il faut se souvenir que le premier titre des Fleurs du Mal de Baudelaire, c'était les Lesbiennes ! Baudelaire a été obligé de changer son titre. La frilosité et la censure à l'égard de ce terme existent depuis longtemps.
Sur Internet, lesbienne = porno. Comment expliquer que ce mot soit autant associé à une sexualité qui doit être regardée ?
Nous sommes dans une société patriarcale. La sexualité entre les femmes n’existe pas pour les hommes, puisque seul l’homme peut apporter le plaisir. Et donc la relation sexuelle n’est là que pour alimenter le fantasme masculin, même les couples de femmes doivent satisfaire l’homme. De toute manière, le sexisme s’établit à l’égard des femmes avant d’être lesbiennes. On est quand même dans une société masculine : le premier quartier gay à Paris par exemple, c’est le Marais, et il y a une domination masculine. Cette journée internationale de la visibilité des lesbiennes est justement l’occasion de rappeler que les lesbiennes ont les mêmes droits que l’ensemble de la population. Et surtout le droit d’être reconnues dans cette terminologie qui semble encore taboue pour certains.
Et les lesbiennes, s’approprient-elles ce mot ?
Je pense, oui, même si c’est un mot peu utilisé. D’ailleurs le mot «lesbophobie» n’est toujours pas entré dans le dictionnaire : on parle d’homosexuels, donc on réduit les lesbiennes à une sexualité qu’on ne leur reconnaît pas. Cette invisibilité du terme renvoie à l’invisibilité des êtres, sauf si on les perçoit dans une dimension purement sexuelle. Malgré tout on parle «d’homophobie». Le fait que la discrimination soit reconnue permet de se défendre, de porter plainte, et de s’assurer que la loi nous autorise à être ce que l’on est. Mais c’est encore compliqué de faire aboutir des plaintes, même si les personnes victimes de LGBTphobie se visibilisent et portent plainte plus facilement qu’avant. La honte bascule du côté des agresseurs et non plus des victimes.
Comment visibiliser davantage le mot «lesbienne» ?
La visibilité des lesbiennes entraînera nécessairement la visibilité du terme. A partir du moment où il devient presque un nom commun, ça ne pose plus de problème à personne de l’utiliser. Je trouve ça dommage par exemple que des journalistes très connues qui sont lesbiennes ne fassent pas leur coming out parce qu’elles seraient des modèles pour les jeunes. Mais c’est une responsabilité individuelle, on ne peut pas demander aux gens de faire leur coming out. Ça montre bien la pression du milieu dans lequel elles exercent.
Avec SOS Homophobie, quand nous faisons des interventions en milieu scolaire, nous essayons aussi d'être les plus rigoureux possible dans l'emploi des termes auprès des élèves : on va systématiquement évoquer les gays et les lesbiennes, de façon à ce que les élèves entendent aussi ce terme et prennent conscience de l'existence des lesbiennes. C'est important parce qu'aujourd'hui on s'aperçoit que les femmes qui ont des relations sexuelles avec des femmes ont 12% de probabilité en plus de contracter des infections sexuellement transmissibles. Il y a une absence de campagne de prévention menée pour les lesbiennes et les bi, et je pense qu'il y a une prise de conscience qui doit avoir lieu sur le sujet de la sexualité des lesbiennes. Derrière l'invisibilisation du terme «lesbienne», il y a un vrai enjeu de santé publique. C'est pourquoi nous avons participé à la campagne «Tomber la culotte», pour éduquer à la sexualité des femmes avec des femmes.