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Européennes

Ian Brossat-Benoît Hamon : cours après moi si je t’attrape

Pour les européennes, les têtes de liste du Parti communiste et de Génération·s avaient un temps envisagé une alliance. Mais le changement de direction au PCF et les réticences de l’ex-PS à se ranger derrière l’adjoint à la maire de Paris ont tout changé.
Ian Brossat, le 18 avril dans le tramway T7, en direction de l'Aéroport de Paris-Orly où avait lieu une manifestation contre la privatisation du groupe ADP. (Photo Rémy Artiges pour Libération)
publié le 28 avril 2019 à 19h46

Toutes les têtes de listes européennes en sont convaincues : l’élection, qui ne passionne pas les foules, se jouera dans la dernière ligne droite avant le 26 mai. Mais pour certains candidats, l’enjeu de la mobilisation est plus crucial que pour d’autres : parcourir le pays pour tenter de se faire entendre et espérer créer une dynamique. Benoît Hamon (Génération·s) et Ian Brossat (PCF) sont dans ce lot-là. L’ancien candidat à la présidentielle et l’adjoint d’Anne Hidalgo à la mairie de Paris ne parviennent pas à décoller dans les sondages. Ils squattent le fond de la classe, en dessous de la fameuse barre des 5 %, le minimum requis pour envoyer des députés à Strasbourg.

Pourtant, ils y croient. Persuadés que le vent finira par tourner, tôt ou pas trop tard, en leur faveur. Entre eux deux, l’histoire aurait pu s’écrire différemment. Ces derniers mois, Benoît Hamon et Ian Brossat se sont affichés ensemble à plusieurs reprises, notamment à la Fête de l’Humanité en septembre. Et, quelques semaines plus tard, à Brest, en Bretagne, sur la terre natale de l’ancien socialiste. L’idée d’une liste commune n’était pas du tout farfelue. La probabilité était réelle.

Dur en affaires

Sauf que fin novembre, lors de son congrès, le PCF a élu un nouveau chef, le député du Nord Fabien Roussel. Et la donne a changé. Les communistes, dirigeants et militants, ne s'imaginent plus jouer les seconds rôles. Ils souhaitent faire (re)vivre le rouge en affirmant leur identité. Une stratégie à quitte ou double. Au tout début du mois d'avril, Benoît Hamon a rencontré Fabien Roussel. Les deux hommes se connaissaient peu. Et ils n'ont pas pris le temps de se découvrir davantage. Sûr de son coup, le fondateur de Génération·s s'est pointé avec une étude sous le bras, qu'il avait commandée, afin de démontrer qu'une alliance serait bénéfique pour tout le monde. A la condition que ce soit lui qui mène la liste. «L'électorat communiste, contrairement au mien, est plus solide. Si on fait alliance avec Brossat en tête de liste, mon électorat se dispatcherait, les voix ne s'additionneraient pas, argumente Benoît Hamon. Alors que si c'est moi qui porte la liste, les communistes suivent.» L'ancien candidat à l'Elysée jure la main sur le cœur que de voir son nom tout en haut n'a jamais été un «préalable» avec les communistes. A tous ceux qui doutent de sa parole, Benoît Hamon rappelle qu'à une époque pas très lointaine il a proposé de s'effacer au profit de l'écologiste Yannick Jadot. Une autre histoire.

Quoi qu'il en soit, Fabien Roussel a décliné sa proposition en rappelant la nouvelle ligne des communistes : derrière les rouges ou rien. Le chef communiste est tactile, blagueur et à l'aise d'apparence et d'accès. Mais très dur en affaires. On ne devient pas secrétaire national d'un parti historique – même en déclin – sans savoir faire des croche-pattes en coulisse. Les députés insoumis du Nord Adrien Quatennens et Ugo Bernalicis, qui ont déjà eu affaire à lui lors de discussions politiques locales, peuvent en témoigner…

Depuis ce rendez-vous manqué, Benoît Hamon et Ian Brossat mènent campagne séparément : chacun pour soi et la gauche pour tous. Début avril, le communiste s'est fait remarquer lors du premier débat télévisé entre les principaux candidats aux européennes. Tout au long de la soirée, il a déroulé ses idées. Direct, clair. Le communiste a surpris son monde, même ses propres camarades. Une tête pensante de la place du Colonel-Fabien, au QG des communistes, revient sur les débuts du candidat Brossat lorsqu'à la surprise générale il a été désigné tête de liste du PCF, en juin 2018 : «Les dirigeants ont validé mais plusieurs militants ont tiqué. Trop parisien pour eux, trop Anne Hidalgo aussi, et l'arrivée des gilets jaunes n'a rien arrangé. Le casting aurait pu être raté… Aujourd'hui, surtout depuis le débat, tout le monde est derrière lui, vraiment.»

Du coup, Ian Brossat s'est transformé en tendance. Il fait mine que tout est normal, que rien ne change. Mais il savoure, il a l'air plus sûr de lui. En interne, les communistes jouent sur le mini-phénomène afin de ratisser des voix à gauche en évitant au maximum l'affrontement avec les autres listes. Récemment, l'adjoint au logement de la mairie de Paris expliquait à Libération : «J'ai décidé de ne taper personne à gauche. Vu l'état de la gauche, tous les coups qu'on donne sont contre-productifs. Et après les européennes, il va bien falloir qu'on retrouve le chemin du rassemblement.» Une sorte de pacte de non-agression.

«Mauvaise ambiance»

Pour sa part, après des semaines de baston à distance contre beaucoup de monde, mais surtout face à Yannick Jadot et Raphaël Glucksmann, Benoît Hamon a décidé de ranger les gants de boxe pour se concentrer sur sa campagne. Il est certain que ses idées, celles qui lui avaient permis de remporter la primaire socialiste en 2017, restent d’actualité. Alors il a repris la route et enchaîne les porte-à-porte pour convaincre. Benoît Hamon, qui déposera officiellement sa liste ce lundi, n’a plus les moyens de mener une campagne en première classe depuis son départ du Parti socialiste en juillet 2017 : il est passé en mode low-cost. Son mouvement compte le moindre euro. Mais il croit dur comme fer à sa remontée dans les sondages.

Le hic : les médias s'intéressent de moins en moins à lui et pas du tout à Génération·s. Hamon a même écrit un courrier au CSA pour demander plus de temps de parole. L'ancien socialiste aimerait que des figures de sa liste inconnues du grand public mais qui «ressemblent à la France», selon ses mots, s'installent sur les plateaux des chaînes d'info en continu. En attendant, il mise sur la presse locale à chacun de ses déplacements. Il y a quelques jours, dans un train après une journée de campagne au Mans (Sarthe), il a hésité un instant avant de nous confier : «Parfois, je me dis que la presse locale suffit largement, car la presse nationale ne parle que de nous en mal ! C'est injuste car on bosse, on propose des choses, on assume nos idées sans se fier aux sondages ! Et la mauvaise presse, ça atteint l'équipe qui s'arrache et ça installe une mauvaise ambiance.»

La dernière ligne droite approche. Les comptes aussi. Les deux candidats refusent d'imaginer le pire dans les urnes. Finir en dessous des 5 % serait terrible pour l'un et l'autre. La stratégie identitaire du PCF prendrait du plomb dans l'aile et la hype Brossat pourrait se transformer en vieux souvenir. Et surtout, pour la première fois, on risquerait de ne pas voir de communiste français au Parlement européen. Un symbole. Que dire de Benoît Hamon qui a quitté le Parti socialiste en fanfare. Un échec de son mouvement lors de ce premier rendez-vous dans les urnes ferait planer le doute sur la suite de sa carrière politique. «Déjà, aucune liste de gauche ne flambe en ce moment. Et en ce qui me concerne, je n'ai pas peur, je suis fier de partir au combat», répond-il. En attendant le verdict du 26 mai, Benoît Hamon et Ian Brossat restent debout, ils avancent. Pas le moment de montrer le moindre signe de faiblesse.