Sur le balcon de son appart-hôtel, Bruno Cousin, 53 ans, allume une énième cigarette. Il a appris la veille que sa chambre lui était attribuée jusqu’à fin mai. «Au départ, on nous avait annoncé le 30 avril. On respire un peu, mais c’est angoissant de n’avoir aucune visibilité», dit-il. En mars, avec sa compagne et une dizaine d’autres familles du quartier du Panier, ils sont venus grossir les rangs déjà bien fournis des délogés marseillais. L’immeuble de Bruno Cousin est pourtant en bon état mais a la malchance d’être mitoyen d’un bâtiment de la mairie… qui menace de s’effondrer. Le premier soir, on leur a proposé un hébergement en gymnase «car les hôtels alentour étaient remplis». Ils ont refusé et ont été envoyés dans un Ibis Budget à l’autre bout de la ville. Depuis une semaine, ils vivent aux Citadines, dans le VIIIe arrondissement, à quelques centaines de pas du Stade-Vélodrome.
Cet hiver, une quarantaine de chambres de cet établissement étaient occupées par des sinistrés, et seulement deux aujourd'hui. Les autres délogés ont été déplacés vers des hôtels moins centraux. Du moins c'est ce qu'on suppose à la réception : «A l'approche de l'été, on ne peut pas dire qu'on les met à la porte, nous explique-t-on, mais le gros de notre clientèle, ce sont les congressistes et des touristes…» Thomas D., délogé depuis fin février et hébergé au B & B Hôtel de la Joliette, a trouvé le mois dernier un petit mot sur son lit lui annonçant son transfert vers un autre établissement de la chaîne, «plus loin et plus vieillot», pour cause «d'hôtel complet pour avril». Depuis le drame de la rue d'Aubagne le 5 novembre, plus de 2 500 personnes ont été évacuées. Et à ce jour, plus de 700 vivent toujours à l'hôtel, selon la mairie.
Mais jusqu'à quand ? «Les hôteliers nous font remarquer que la saison d'été arrive. Que des congrès sont multiples à Marseille et qu'ils aimeraient récupérer un peu de place», lance le maire LR de Marseille, Jean-Claude Gaudin, en plein conseil municipal le 1er avril. Il répond à Marie-Arlette Carlotti, ancienne ministre déléguée à la Lutte contre l'exclusion de Hollande et membre de l'opposition (PS) au conseil municipal. L'élue pointait «le manque de volontarisme» de la municipalité dans la prise en charge des délogés.
«Prévisible». Trente-deux hôtels continuent d'abriter des délogés. Certains patrons de ces établissements ont trouvé les propos du maire «maladroits». Ils se sont sentis acculés là où pourtant ils ont l'impression de jouer le jeu depuis le début, acceptant d'héberger des gens dans l'urgence, d'être payés avec deux mois de décalage, «et parfois d'enfreindre les règles de sécurité, lorsqu'on nous demande d'accueillir une famille de cinq personnes, quand la chambre est prévue pour quatre», dit l'un d'eux.
Depuis le 29 mars, Valérie Bureau, gérante du Ryad, l'un des hôtels mobilisés du centre-ville, n'a plus de place. «Les réservations se font des mois à l'avance, on ne peut pas les annuler. La mairie était prévenue. Et on le répète depuis le début : un hôtel n'a pas vocation à loger des familles sur du long terme», insiste-t-elle. Du côté de l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie, le vice-président, Nicolas Guyot, se veut rassurant : «La mairie n'a jamais eu à nous réquisitionner.Les hôteliers ont toujours fait preuve de civisme et d'humanité.» Pour Kevin Vacher, l'un des représentants du collectif du 5 Novembre, «les nuitées étant réservées seulement quinze jours à l'avance par la mairie, tout cela était prévisible».
Espoir. «Bien sûr que l'hôtel ce n'est pas la solution, mais pour l'instant, on n'en a pas d'autre, souligne l'adjoint en charge de l'exclusion, Xavier Méry. Avec la préfecture, nous sommes en train de chercher de nouveaux parcs relais.»L'élu n'a aucun lieu précis, ni aucune date à communiquer «car rien n'est tranché», avoue-t-il. Mais il a espoir que d'ici deux mois une solution soit trouvée. A cette date, la saison touristique sera bien entamée et les hôtels déjà bien pleins avec, outre les délogés, 900 demandeurs d'asile selon la préfecture et les mineurs isolés tout juste évacués du squat Saint-Just qui, faute de mieux, sont eux aussi mis à l'abri dans des établissements hôteliers.
Début avril, la rapporteure de l'ONU chargée du logement indigne en visite à Marseille s'inquiétait de ne pas voir «de plan suffisant de la part des institutions locales et nationales pour s'occuper de cette situation alarmante». Apparemment, elle n'a pas été entendue.