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Polémique

Quatre jours après, «Valeurs actuelles» embarrassé par l'évacuation violente des militantes de la Barbe

Le directeur de l'hebdomadaire réactionnaire veut déposer plainte contre les personnes et médias ayant fait état de sa participation à l'évacuation du collectif féministe qui dénonce les événements 100% masculins, jeudi à Paris, alors qu'il en a lui-même parlé.
Evacuation violente des militantes de La Barbe, jeudi lors des «Dialogues sur l'Europe» organisés par «Valeurs actuelles» au Cirque d'hiver à Paris. (Photo Lionel Bonvaventure. AFP)
publié le 29 avril 2019 à 12h45

Sept intervenants, sept hommes. Tel était le menu proposé aux amateurs de saillies réactionnaires jeudi au Cirque d'hiver, à Paris, par l'hebdomadaire conservateur Valeurs actuelles et l'association versaillaise les Eveilleurs d'espérance, lors d'un raout intitulé «Dialogues sur l'Europe». L'occasion de venir s'abreuver aux meilleures sources : les écrivains Michel Houellebecq et Benoît Duteurtre, l'inévitable polémiste Eric Zemmour, Philippe de Villiers ou encore François-Xavier Bellamy, la très conservatrice tête de liste LR aux élections européennes. Pour donner un brin de pluralité étaient conviés Jacques Attali et le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire.

C'est au moment où ce dernier s'apprêtait à échanger avec Eric Zemmour que le collectif la Barbe, qui intervient pacifiquement depuis de nombreuses années dans les événements 100% masculins pour souligner une absence de mixité si normalisée qu'on n'y fait pas attention, a fait irruption sur la piste. Il est rare que ces militantes soient reçues avec les honneurs, mais en l'occurrence, la réaction fut particulièrement violente, comme en témoigne une vidéo postée par Mediapart (à voir ci-dessous) : à peine avait-elle pu gagner le centre de la piste, grimée d'une fausse barbe, que la journaliste Alice Coffin était plaquée par un membre de la sécurité, tandis que d'autres militantes étaient maîtrisées en coulisse. Jetée par terre (à 1'32" sur la vidéo), l'une d'elles s'est retrouvée le nez en sang, sous les huées du public, certains criant «dehors les gauchistes».

«On avait déjà fait une action devant des militaires où l'on s'était fait violemment sortir, mais là c'était puissance dix !» raconte Alice Coffin à Mediapart.

Sur le moment, Valeurs actuelles et ses soutiens se réjouissent : les dangereuses féministes maîtrisées, on peut considérer, comme la journaliste du Figaro Eugénie Bastié, qu'elles ont «raté» leur coup, et la soirée peut reprendre son cours – Bruno Le Maire ayant très discrètement déploré qu'en effet, tout cela se passe exclusivement entre hommes.

Mais la violence dont témoignent les vidéos aussitôt postées sur Twitter va se retourner contre les organisateurs. Plusieurs médias relatent la scène, en donnant la parole à Geoffroy Lejeune, directeur de la rédaction de Valeurs actuelles, que l'on voit tirer Alice Coffin par la jambe. Il s'en explique aux Inrocks vendredi : «Je voulais aller sur la scène pour voir si tout allait bien et j'ai vu cette fille portée par trois ou quatre mecs, elle se débattait à fond. Je ne pouvais pas passer alors j'ai tiré sa jambe.» Et à Mediapart : «Elle se débattait en hurlant. Je n'ai pas réfléchi, j'ai tiré sur sa chaussure et aidé à l'évacuer». «Je n'ai pas eu le temps de réfléchir, si ça se repassait, je ne le referais pas», ajoute-t-il dans son entretien aux Inrocks.

Alors que le collectif féministe reçoit le soutien de la secrétaire d'Etat chargée de l'Egalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, voilà qu'une affaire dans l'affaire débute : dimanche, Geoffroy Lejeune annonce sur son compte Twitter qu'il dépose plainte contre X pour diffamation, «en nommant les personnes et médias qui affirment de façon mensongère que j'aurais commis des actes de violence jeudi dernier au Cirque d'hiver». Et de citer Alice Coffin, Télérama et Mediapart qui ont raconté la scène, ainsi que le journaliste David Perrotin qui a repris les informations publiées par ces médias.

Une série de tweets – par laquelle Lejeune veut dénoncer «l'alliance de certaines minorités radicales et d'une presse complaisante» – à laquelle la Barbe a répondu par une vidéo montrant plus précisément l'action du directeur de Valeurs lors de l'évacuation, en rappelant que c'est lui-même qui a expliqué y avoir participé.

Alors, «ratée», l'action de la Barbe ?