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Libération
Reportage

1er Mai : «A 99%, les gens sont là pour manifester»

1er Maidossier
Eclipsé par les promesses de violences, le rendez-vous syndical a pourtant réussi à rassembler malgré le chaos de la mi-journée. L’occasion pour les militants de jeter des ponts avec les gilets jaunes.
Dans le cortège parisien, mercredi. (Photo Andrea Mantovani. Hans Lucas)
publié le 1er mai 2019 à 20h56

Les moments de répit ont été rares pour les syndicalistes mercredi. «On a galéré pendant une heure trente pour arriver», explique un cégétiste qui vient tant bien que mal de garer le camion de la CGT dans le carré de tête, sur le boulevard du Montparnasse à Paris vers 13 heures. Il faut maintenant gonfler le ballon et sortir la banderole qui doit être déployée devant le secrétaire général du syndicat, Philippe Martinez. A côté du camion, un autre cégétiste s’inquiète : «Des camarades me disent que les black blocs sont déterminés à défoncer la CGT.» Lunettes noires et sourire crispé, Martinez se positionne derrière le camion, entouré de son service d’ordre, promettant un point presse imminent. Mais les tirs et les gaz lacrymogènes provoquent un repli, laissant le camion bloqué entre black blocs et gendarmes mobiles.

Il faudra plus d’une heure pour qu’un carré de tête réussisse à se former. Et que le numéro 1 de la centrale réapparaisse. Une heure de flottement où personne ne comprenait où il était. «Cela fait un moment que la fracture existe. Il faut que le Président change de méthode, ce n’est pas avec les grenades qu’il va résoudre ça, dit-il. Le nombre de manifestants est considérable malgré la pression qui a été mise en disant : « Ça va mal se passer. »» Pour lui, cette journée est une «réussite». Et d’ajouter : «On sait qu’il y en a qui viennent pour la casse mais à 99 %, les gens sont là pour manifester.»

Au sein de la CGT, certains estiment que la direction a tardé à tendre la main aux gilets jaunes depuis le 17 novembre. «Cela fait un moment qu’on dit qu’il y a une volonté de convergences mais on apprend à se connaître, on a les mêmes revendications, hausse du smic, justice fiscale… C’est bien et il faut que ça continue», analyse le patron du syndicat devant les journalistes. Dans les rangs cégétistes, la présence des gilets jaunes est plutôt perçue comme une opportunité. «On a des revendications communes. C’est bien qu’ils soient là», pointe Wanda, une retraitée. «Le problème c’est que parmi eux, il y a de tout, et notamment des gens du Rassemblement national», nuance sa voisine.

«Amalgame». Pour la secrétaire nationale de l’union syndicale Solidaires, Murielle Guilbert, l’arrivée des gilets jaunes, installés à l’avant du cortège, est positive : «Pour nous, l’objectif n’est pas d’être devant. Ce qui compte, c’est qu’il y ait une présence syndicale pour le 1er Mai, journée de lutte pour les droits du travail. C’est une étape symbolique forte.» Au passage, elle fustige la CFDT qui organisait un rassemblement en fin de matinée avec la CFTC et l’Unsa autour du thème de l’Europe sociale, à trois semaines du scrutin européen. «Nous ne sommes pas là pour accompagner Macron», lâche-t-elle. A la tribune, le numéro 1 de la CFDT, Laurent Berger, a expliqué avoir le «sentiment» q ue les propositions pour un «pacte social et écologique» formulées par son syndicat avaient «trouvé une forme de résonance, une forme d’inflexion dans le discours» présidentiel.

Dans la rue, c’est la colère envers le maintien de l’ordre qui s’exprime en premier. Wanda, la cégétiste retraitée, s’interroge sur la présence des partisans du black bloc : «Les policiers connaissent très bien ces gens violents. Pourquoi ne les arrêtent-ils pas avant ? Ça arrange peut-être certains politiques cet amalgame : ça dénature nos revendications.» Pour un militant de Solidaires, la violence au début du cortège a dissuadé bon nombre de manifestants : «Les gens ont l’impression qu’on ne peut plus venir manifester librement. Les forces de l’ordre nous ont même empêchés d’entrer dans la manifestation avec du sérum physiologique. Comme si c’était une arme…»

«Boulevard». A la CGT, on déplore des blessés dans le service d’ordre. «Cela m’est arrivé d’être gazé, mais autant qu’aujourd’hui et dans le carré de tête, jamais», raconte le porte-parole de Solidaires, Eric Beynel, qui se trouvait avec Philippe Martinez quand leur groupe a été visé par les canons à eau et les lacrymos : «Il ne se passait rien autour de nous à ce moment-là. Il y avait la volonté de nous toucher.» «La violence n’est pas que dans la rue. Elle est tous les jours dans le monde du travail», s’emporte un cégétiste travaillant dans la fonction publique. C’est l’absence de réponses satisfaisantes du gouvernement qui alimente la violence, abonde une manifestante encartée à la CGT : «Certains disent que les syndicats ne font rien, mais moi je n’arrête pas, je fais deux manifs par semaine. Il faut continuer à se faire entendre car si on n’était pas là, ce serait pire. Il y aurait un boulevard pour Macron.»