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Libération

Logement insalubre: un élu marseillais poursuit sa locataire

Jennifer Mbon avait cessé de payer son loyer après l’apparition de moisissures dans son studio, déclaré insalubre par huissier et les services d’hygiène de la ville. Son propriétaire, André Malrait (LR), adjoint au maire chargé du patrimoine, l’a assignée en justice. Audience ce jeudi.
André Malrait, à droite, en 2014, lors du premier conseil municipal de Marseille de la mandature. (Photo Robert Terzian. Divergence)
par Stéphanie Harounyan, Correspondante à Marseille
publié le 2 mai 2019 à 9h02

Un garage à vélos reconverti en studio, loué 520 euros mensuels par son propriétaire, qui se trouve être également élu municipal, épinglé par les services d'hygiène parce que son logement était criblé de moisissures… L'affaire, révélée par la presse locale en février, avait suscité l'émoi alors que Marseille venait de vivre le drame de la rue d'Aubagne, jetant une lumière crue sur l'état insalubre de nombreux bâtiments de la ville. Ce n'est pourtant pas André Malrait, 87 ans, l'adjoint au maire chargé du patrimoine et propriétaire dudit studio, qui est jugé ce jeudi par le tribunal d'instance mais… sa locataire, assignée en référé pour non-paiement de loyer.

C'est en mai 2018 que Jennifer Mbon, une Grenobloise, signe un bail avec André Malrait pour un studio de 17 m2 situé rue Breteuil, dans le centre-ville de Marseille, en bordure de la propriété de l'élu. Au fil des semaines, la jeune fille constate que les moisissures envahissent «l'appartement» – alors dépourvu de système de ventilation –, s'attaquant aux murs, aux meubles mais aussi à ses vêtements. Après avoir tenté en vain de faire réaliser des travaux à son propriétaire, elle décide de contacter les services d'hygiène. Les huissiers débarquent à son domicile le 1er mars. Leur PV de visite, révélé par Marsactu et la Marseillaise, est accablant: «Dès notre entrée dans les lieux, nous sommes frappés par l'odeur de moisissure qui y règne et l'humidité présente, écrivent-ils. […] La plupart des murs sont aujourd'hui totalement insalubres, piqués d'humidité noirâtre en plusieurs endroits.»

Papier à en-tête de la mairie

S'appuyant sur ce constat, c'est un «confrère» d'André Malrait au conseil municipal, l'adjoint chargé du service hygiène et santé, qui signe un courrier quelques jours plus tard actant une «situation d'insalubrité» et mettant en demeure le propriétaire de faire les travaux nécessaires. Depuis, André Malrait, qui plaide la bonne foi, assure avoir fait le nécessaire pour remédier au problème.

Mais le contentieux avec son ancienne locataire demeure. Face à l'état de l'appartement, celle-ci avait refusé de payer ses loyers de septembre et d'octobre. L'élu avait d'abord réclamé la somme auprès d'elle par courrier – en prenant soin d'utiliser un papier en-tête de la mairie… – avant d'assigner sa locataire devant le juge des référés. Confronté aux révélations gênantes de la presse, l'élu veut faire marche arrière, se désistant finalement de sa demande de remboursement pour ne réclamer «que» le paiement de ses frais d'avocat. «C'est l'hôpital qui se fout de la charité», s'emporte Julie Savi, l'avocate de Jennifer Mbon qui veut aller jusqu'au bout : «Je vais demander au juge des référés de prendre acte de cette demande de désistement, puis de constater l'insalubrité du logement et de renvoyer l'affaire devant le juge sur le fond, afin de statuer notamment sur la validité du bail.»

Déclaré comme «garage à vélos»

Car il n'y a pas que l'insalubrité constatée du logement qui est en cause: la presse locale a encore révélé que le studio loué par André Malrait avait d'abord été déclaré auprès des services de l'urbanisme en 2015 comme «garage à vélos»… Ce n'est qu'en juillet 2018 que les services d'urbanisme régularisent la situation. Un micmac sur lequel l'avocate de Julie Savi entend bien s'appuyer pour demander le remboursement des loyers versés par sa cliente. Contactée par Libération, l'avocate d'André Malrait n'a pas donné suite.

Si l'affaire a suscité de vives réactions au sein de l'opposition municipale, plusieurs élus demandant la démission d'André Malrait, la mairie de Marseille n'a pour l'heure pas réagi. Interrogé par la Provence en février, Jean-Claude Gaudin a simplement  indiqué qu'il avait demandé «des explications» à son élu, présenté comme l'un de ses proches. Trois autres élus marseillais (Xavier Cachard, élu LR à la région, Thierry Santelli, vice-président LR du conseil départemental et Bernard Jaquier vice-président LR à la Métropole) sont aussi impliqués dans des histoires de logements insalubres depuis le drame du 5 novembre. Tous ont abandonné leurs fonctions ou ont été démis dans leurs instances respectives.