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Emmanuel Macron fait-il sa transition écologique ?

Critiqué pour ses beaux discours pro-climat à gauche et chez EE-LV, le Président tente de reverdir son image. En témoignent les mesures vertes du programme électoral de la liste LREM pour les européennes, présenté ce jeudi.
Emmanuel Macron dans le Finistère, le 21 juin. (Photo Albert Facelly)
publié le 8 mai 2019 à 20h56
(mis à jour le 8 mai 2019 à 20h56)

Comme promis, la transition écologique figure bien en tête des «priorités» du programme que dévoile ce jeudi, traditionnelle «Journée de l'Europe», les animateurs de la liste Renaissance parrainée par Emmanuel Macron. Le combat des progressistes contre les nationalistes ne semble donc pas devoir être, réflexion faite, la grande affaire de cette campagne.

Au Parlement européen, Nathalie Loiseau et ses colistiers, notamment son numéro 2, l'écologiste Pascal Canfin, font le serment de se battre une fois élus pour faire de l'UE une «puissance verte» qui se donnera les moyens d'orienter l'épargne des Européens vers des investissements qui combattent le dérèglement climatique. Un plan d'investissement de 1 000 milliards d'euros devrait y être consacré d'ici à 2024. La liste Renaissance prône la fin des voitures thermique d'ici à 2040, la fin de l'exploitation des hydrocarbures et la taxation du transport aérien dans l'ensemble de l'Union.

Cette priorité au climat, Macron a tenu à l'affirmer lui-même devant les candidats et les stratèges de la campagne auprès desquels il s'est invité à dîner mardi soir, au restaurant parisien du Palais de Tokyo. Il sera porteur du même message, ce jeudi en Roumanie, à l'occasion du sommet européen de Sibiu. Avec les dirigeants de sept autres pays de l'UE (Benelux, Danemark, Espagne, Portugal et Suède), le chef de l'Etat français milite pour que la lutte contre le changement climatique soit «la clé de voûte» de l'agenda européen pour la période 2019-2024. Macron et ses sept cosignataires appellent à «agir maintenant» pour que l'objectif «zéro émission de gaz à effet de serre» soit atteint «d'ici à 2050 au plus tard». Ils demandent aussi que les Etats de l'UE revoient à la hausse les objectifs qu'ils se sont fixés en 2016 dans l'accord de Paris. Ils proclament que la transition écologique «créera de nouveaux emplois d'avenir verts pour le bénéfice de tous les Européens», à condition de s'assurer de «l'acceptation sociale de cette transition».

«Foutage de gueule»

Macron écolo ? A moins de trois semaines du scrutin européen, les adversaires de la liste Renaissance crient à l'imposture et accusent le président «ultralibéral» de faire du «greenwashing». C'est évidemment le cas de Yannick Jadot (EE-LV), candidat garanti 100 % écolo : Macron n'ayant, selon lui, engagé «aucune mesure concrète», ses professions de foi ne seraient que «du pipeau», voire «du foutage de gueule». De La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon à Génération·s de Benoît Hamon, en passant par l'alliance PS-Place publique de Raphaël Glucksmann, ils sont très nombreux, à gauche, à partager ce jugement définitif. Ils militent pour une rupture plus ou moins radicale avec la logique libérale sans laquelle il serait illusoire, selon eux, de prétendre répondre au défi climatique. Les ONG environnementales ne sont pas en reste. «Les annonces c'est bien, la mise en action ce serait mieux», se désolait mardi Sandrine Bélier de l'association Humanité et Biodiversité au lendemain des annonces du chef de l'Etat en faveur de la biodiversité. Nombre d'associations accusent le Président de ne pas faire «du concret». Elles regrettent que sa mobilisation contre les pollutions et l'artificialisation des sols ne se traduisent pas par l'abandon du projet de centre commercial Europacity en Ile-de-France, de la Montagne d'or en Guyane, ou par la fermeture de la bio-raffinerie de La Mède alimentée à l'huile de palme.

A l’image de Pascal Canfin, Pascal Durand et Dany Cohn-Bendit, les écologistes historiques qui ont rejoint Macron et son projet européen attestent au contraire de l’authenticité de cette conversion à la cause environnementale.

Crédible, Macron ? S'il reconnaît qu'il ne l'était pas en 2017, Canfin estime qu'il peut être décrit, en 2019, comme «un président en transition, comme l'est aussi la société française, elle-même». Cohn-Bendit confirme : «Personne ne naît écolo, pas même les journalistes de Libération. Macron est un libéral, la question environnementale n'est pas dans son ADN. Il a mis du temps à s'emparer du sujet. Mais il a compris que la dynamique de croissance pouvait être écologiquement contre-productive.»

Arme diplomatique

Ceux qui le côtoient depuis son passage à Bercy confirment que l'ex-ministre de l'Economie vient de loin. Quand il lance sa campagne présidentielle pour 2017, il est encore un défenseur des prometteuses opportunités du gaz de schiste dans les sols argileux et la non moins prometteuse exploitation de l'or de la forêt amazonienne de Guyane. «Quand je suis arrivée on m'a dit : "Fais gaffe, tu vas de faire instrumentaliser"», confie une ex-militante d'ONG recrutée par le candidat Macron. Elle affirme avoir été rassurée quand il s'est laissé convaincre d'inscrire à son programme l'arrêt de toute production d'hydrocarbures en France. «L'écologie, ce n'était clairement pas sa première langue», confirme un autre familier de l'Elysée. Mais elle l'est devenue progressivement. D'abord via des circonstances géopolitiques : avec son «Make Our Planet Great Again», en réponse à la décision de Donald Trump de sortir de l'accord de Paris en 2017, Macron a saisi une opportunité d'installer un leadership sur la scène internationale.

D'abord arme diplomatique, cet engagement pour le climat se serait consolidé, selon l'Elysée, à la faveur des récentes mobilisations de la jeunesse. L'aurait-il aussi été par la retentissante démission du ministre d'Etat Nicolas Hulot ? «Chaque coup de gueule a son utilité», reconnaît un membre du gouvernement. Dans l'entourage du Président, on précise d'ailleurs que les ponts sont loin d'être rompus. Avant de recevoir lundi les experts de l'ONU auteurs d'un rapport alarmant sur la biodiversité (IPBES), Macron aurait pris soin de consulter son ex-ministre.

«Si la France est l'un des leaders de la transition écologique en Europe, elle le doit à quelqu'un qui a semé des graines qui s'appelle Nicolas Hulot et que je veux saluer ici», a déclaré Canfin lundi soir au théâtre Bobino, lors du grand meeting écolo de la liste Renaissance. Rappelant que la France est classée par l'ONG Réseau Action Climat Europe parmi les trois meilleurs élèves de l'UE dans la protection de l'environnement, il a invité son ex-compagnon de route Jadot à reconnaître que «l'idéal écolo n'est pas au barycentre de la société française». Telle est, selon lui, la leçon de la mobilisation originelle des gilets jaunes : «Quand ça va trop vite, ça casse. C'est la contradiction que doit gérer le gouvernement.»

«Fausse promesse»

Ancien directeur du WWF, Canfin met en garde contre les réflexes «trop radicaux» qui entament selon lui la crédibilité des militants impatients. Interdire «immédiatement» le glyphosate, comme le réclame Jadot ? «Une fausse promesse qui décrédibilise le combat des écologistes. Ce serait priver des milliers d'agriculteurs du jour au lendemain de leur outil de travail», répond le candidat rallié au Président. Avec les structures mises en place par Macron - Conseil de défense écologique et assemblée de citoyens tirés au sort -, l'exécutif se serait, selon lui, «donné les moyens de bouger avec la société, pas contre la société». Canfin veut croire qu'ils feront rapidement la démonstration de leur efficacité.