L'environnement, «ça commence à bien faire». Prononcée par Nicolas Sarkozy dans les allées du Salon de l'agriculture en 2010, la formule a un air d'ancien monde. Il faut bien chercher désormais pour trouver un homme politique se vantant de ne pas avoir cédé aux sirènes de l'écologie. Le cœur sur la main, Les Républicains, eux aussi, jurent être devenus des écolos convaincus. Dans leur camp, on aime rappeler la création du premier ministère consacré au sujet, en 1971 sous Pompidou, ainsi que le Grenelle de l'environnement, organisé en 2007 sous la houlette de Jean-Louis Borloo. Laurent Wauquiez lui-même semble s'y être résolu : le temps de «l'écologie de droite» serait venu. Dans le discours du moins. Car dans les faits, l'environnement n'est pas encore tout à fait une priorité.
Dans le projet européen de LR en 75 points, le sujet arrive en 31e position et tient en quatre propositions. L'idée : la croissance verte pour nous, les contraintes pour les autres. Ainsi proposent-ils de «mettre en œuvre des droits de douane antipollution sur les produits importés de pays qui ne respectent pas nos normes environnementales». Comprendre les Etats hors UE. Soit une resucée de la taxe carbone aux frontières européennes, défendue peu ou prou par tous les partis. A l'intérieur de nos frontières, en revanche, l'environnement est abordé sous le prisme de la compétitivité, une occasion d'innover plus qu'une nécessité. On veut ainsi «promouvoir la bioéconomie, véritable vecteur de croissance et de valeur ajoutée, particulièrement pour nos agriculteurs». Certes, on entend «lutter contre le dérèglement climatique», mais sans s'étendre sur les moyens pour y parvenir. Interrogé sur le glyphosate fin avril, la tête de liste LR, François-Xavier Bellamy, assumait tranquillement : «Nous ne sommes pas des idéologues de l'écologie.»
«Paresse»
Longtemps la droite n'a pas voulu toucher à ce sujet préempté par la gauche. «C'est une question d'image : pour eux, les écolos c'étaient des gauchistes chevelus qui se mobilisaient dans le Larzac», explique l'historien Christian Delporte. «La réticence de la droite à intégrer l'écologie est beaucoup due au secteur agricole», ajoute Serge Lepeltier, ministre de l'Ecologie sous Chirac, évoquant une «faiblesse politique». En déplacement de campagne avec Bellamy, Laurent Wauquiez vantait récemment LR comme «le parti de l'agriculture». «Quand sur d'autres listes, je vois des gens qui expliquent que la viande, c'est mauvais pour la santé, que l'élevage, c'est mauvais pour la santé… Ce qu'on voudrait dire, c'est : "Merci aux agriculteurs"», ajoutait le patron du parti. Député LR des Bouches-du-Rhône, Eric Diard regrette cette opposition «entre bien-être des agriculteurs et bien-être animal» : «Même la grande distribution l'a appréhendée. On reste assez rétrograde, en décalage. Il faut qu'on s'adapte à la réalité. Il y a une peur de se mettre à dos la FNSEA, mais c'est le sens de l'histoire. On nous reproche de ne pas assez en parler.» Serge Grouard, ex-député LR et pionnier vert au sein du parti, déplore aussi cet angle mort écologique : «Ce n'est pas perçu comme majeur. Il y a des sujets considérés comme sérieux, la justice, par exemple. Quand vous parlez de biodiversité, tout au plus vous êtes sympathique.»
Preuve de cette «écolophobie» - le mot est de l'ancienne ministre de l'Environnement Corinne Lepage -, la disparition du paysage politique des deux hérauts de la droite environnementalo-compatible, Nathalie Kosciusko-Morizet et Chantal Jouanno. Résultat, au sein de LR, on ne sait vers qui se tourner pour parler biodiversité ou énergies renouvelables. «Je ne saurais pas vous dire qui pousse sur ces sujets», avoue le député Aurélien Pradié. Au-delà des questions de parts de marché électoral et de culture politique, idéologiquement, ça bute. Même les plus volontaristes se crispent à l'évocation d'une quelconque contrainte. «C'est un sujet éminemment politique. La manière dont on l'aborde est révélatrice de l'idée qu'on se fait de la société. La droite doit donc investir la question environnementale, sinon elle va se résumer à une pensée décroissante», poursuit Pradié.
Au sommet de LR, pas question d'ébranler le libéralisme. L'écologie d'accord, mais pas celle dite «punitive», que porterait la gauche et que symboliserait la taxe carbone d'Emmanuel Macron. «On ne s'en sortira pas sans une réglementation européenne de plus en plus contraignante, prévient pourtant le député UDI Bertrand Pancher, membre de la commission du développement durable à l'Assemblée nationale. L'idée de croissance verte, c'est de la vraie paresse intellectuelle. C'est continuer à se leurrer sur un mode de développement qui est condamné. Ils ne sont pas à la hauteur.» Venue du centre droit elle aussi, Corinne Lepage juge qu'il est «très difficile d'être écolo sans remettre en cause le système économique actuel. Le sujet pose donc forcément problème à la droite».
De ce côté de l'échiquier, un courant conservateur a pourtant depuis longtemps intégré le combat environnemental à son logiciel idéologique. «Les racines de l'écologie sont très diverses et ont été en partie réactionnaires, explique l'historien Christian Delporte. Au XIXe siècle se développe un mouvement de pensée qui veut préserver la nature, l'ordre naturel des choses… On rejette la société urbaine, industrielle, et tout ce qui va avec : la fin du monde paysan, la lutte des classes, ou encore la Révolution.» Pour la nature et contre la modernité, voici les conservationnistes. Héritière de ce courant de pensée : la troupe de la revue conservatrice Limite. Jeunes cathos partis en croisade contre le mariage gay, ils fustigent une société mondialisée et libérale, et prônent décroissance et enracinement. L'écologie est ainsi devenue le cheval de bataille de ceux qui veulent que rien ne change. Ça vaut pour la nature comme pour la société. Et au croisement des deux, on trouve l'un de leurs plus grands combats : la manipulation du vivant, des OGM à la PMA.
Créneau
Dans la bouche de François-Xavier Bellamy, interrogé par la Croix mi-avril, cela donne : «Si nous sommes vraiment écologistes, il faut proposer une écologie intégrale, qui se préoccupe de l'environnement, mais aussi de l'humain de demain. L'Europe doit prendre la tête d'une initiative juridique internationale pour interdire l'eugénisme, la marchandisation du corps et la gestation pour autrui.» Pour le rédacteur en chef de Limite, Paul Piccarreta, «ce qui est intéressant avec Bellamy, c'est qu'il a une culture catholique qui, paradoxalement, lui donne une ouverture à la question. Même si les catholiques ne sont pas connus pour être des écolos convaincus, quelque chose s'est réveillé chez les chrétiens». Laudato si' («loué sois-tu»), l'encyclique du pape François publiée en 2015, appelant à «de nouveaux modes de production, de distribution et de consommation» et exaltant la sobriété, a été déterminante, selon lui : «C'est un catholique plutôt pieux. A mon avis, ça le travaille. C'est pour ça qu'il a quelque chose d'intéressant, il n'est pas à fond dans l'ADN productiviste de LR.»
De là à faire de l'écologie un enjeu de la campagne européenne… «Quand votre boss s'appelle Wauquiez, c'est compliqué, juge Paul Piccarreta. Ce qui m'étonne, c'est qu'ils soient ensemble. Ils ne travaillent pas dans le même sens. Wauquiez, c'est un pur libéral, productiviste, antiécolo.» Le chef de LR semble pourtant avoir flairé le créneau. Il a rencontré Eugénie Bastié, journaliste et membre de la rédaction de la revue Limite. «Il y a des paliers idéologiques que la droite n'arrive pas à franchir, ils sont trop attachés à la liberté individuelle, estime le rédacteur en chef. Alors oui, il parle d'enracinement, mais ce n'est pas parce que vous sortez les mots-clés que c'est suivi d'une position conséquente.»