Macron n'en démord pas. L'enjeu de ces européennes se résume au choix entre deux options : pour l'Europe, avec la liste Renaissance soutenue par la majorité présidentielle, ou contre l'Europe, avec la liste «nationaliste» du parti de Marine Le Pen. Le chef de l'Etat l'a affirmé jeudi devant la presse à l'issue du sommet européen de Sibiu (Roumanie) : «Je mettrai toute mon énergie pour que le Rassemblement national ne soit pas en tête.» Après la conclusion du grand débat, il ne cache pas qu'il est déterminé à s'engager personnellement dans cette campagne, au moment où sa tête de liste, Nathalie Loiseau, montre des signes de faiblesse, tandis que l'inattendu François-Xavier Bellamy paraît en mesure de mettre la droite LR à l'abri d'une déroute que la majorité considérait comme acquise. Mardi soir, Macron a rendu une visite surprise aux colistiers de Loiseau. Il a précisé qu'il ne s'interdisait pas d'intervenir encore, tout en restant à sa «place» de président de «tous les Français»…
Alors que les listes RN et LREM-Modem sont au coude-à-coude, autour de 22 % dans la plupart des sondages, l'installation de ce duel est naturellement encouragée par Marine Le Pen. Un référendum pour ou contre Macron, ce président fort impopulaire ? «J'accepte cela», a-t-elle bien sûr dit jeudi sur LCI.
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«Alternative»
A droite comme à gauche, les nombreux candidats engagés dans la bataille protestent contre une tentative de «confiscation» binaire du débat. C'est tout particulièrement le cas de LR. Ainsi le patron du Sénat, Gérard Larcher, se dit «quand même assez étonné» que le président français improvise, depuis la Roumanie, une sorte de «meeting par médias interposés». Jeudi matin sur France Inter, il a refusé que les élections du 26 mai se transforment en «plébiscite». Au chef de l'Etat qui laisse entendre qu'il n'y aurait «pas d'autre choix que la liste de Mme Loiseau», Larcher oppose son candidat, Bellamy, porteur d'un «vrai projet concret» et «de valeurs pour l'Europe».
Créditée de 13 % des suffrages dans l'enquête Harris Interactive publiée vendredi par le Figaro, la liste menée par François-Xavier Bellamy aurait tout à craindre d'une dramatisation du scrutin. «L'alternative est très claire», a affirmé Macron à Sibiu : «Est-ce qu'on veut encore construire ensemble l'Europe, même différemment et en améliorant les choses, ou est-ce qu'on veut la déconstruire ou la détruire et revenir au nationalisme ?» Si elle devait se laisser convaincre, une partie de la droite modérée et proeuropéenne pourrait alors voter Renaissance. Et ce au moment même où plusieurs élus LR Macron-compatibles, comme le maire de Nice, Christian Estrosi, ou celui de Reims, Arnaud Robinet, ont indiqué qu'ils allaient voter Bellamy.
«Gueule de bois»
Macron, rempart contre une possible «destruction» du projet européen ? C'est la conviction de l'ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, qui doit participer ce samedi à Strasbourg, avec Edouard Philippe, à un meeting de Nathalie Loiseau. «Aujourd'hui, on a un homme qui défend les intérêts de la France, par fonction, qui est le président de la République. Quel est notre intérêt d'affaiblir celui qui défend nos intérêts ?» interrogeait Raffarin vendredi au micro de RMC. Selon lui, cette élection doit être vue comme «une compétition d'équipes nationales» et non pas comme «une compétition de partis». En votant pour la liste Renaissance, il assure vouloir défendre «l'influence» française dans l'UE. Ce qui ne «veut pas dire», précise-t-il, qu'il «soutient» le chef de l'Etat.
Macron ne dit pas autre chose quand il martèle que le vote du 26 mai «n'est pas simplement un choix politique» : il s'agit du «choix de l'Europe», celui «de la nation française plusieurs fois réaffirmé», a-t-il dit à Sibiu. Le président «de tous les Français» ne ferait donc que son devoir en s'engageant dans la campagne. Interrogé sur le risque d'abstention, particulièrement aigu chez les moins de 22 ans, il appelle la jeunesse française à ne pas «se laisser voler l'Europe», comme le fit «la jeunesse britannique», qui «s'est réveillée avec la gueule de bois» au lendemain du Brexit.
Très risquée, cette stratégie de la dramatisation inquiète jusque dans la majorité. S'ils ne méconnaissent pas la portée symbolique d'une victoire, si courte soit-elle, de l'extrême droite en France, certains regrettent que l'enjeu au Parlement européen soit passé sous silence : fédérer autour des élus Renaissance un «groupe central», pivot d'une majorité engagée dans «la refondation» de l'UE. «Qu'on soit un point devant ou un point derrière le RN, cet objectif reste accessible», fait valoir l'ex-eurodéputé écolo Daniel Cohn-Bendit. Argument balayé par les stratèges de la campagne Loiseau : même pour ce scrutin intermédiaire, par nature défavorable à la majorité en place, il était, expliquent-ils, «impossible d'afficher autre chose que l'objectif de finir premier». Les mêmes reconnaissent toutefois, plus modestement, que le but est surtout de ne pas être «clairement distancé». Si la liste LREM est battue, c'est «l'influence» de Macron dans l'UE qui sera entamée «pour des mois, voire des années», confirmait vendredi l'Elysée.