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récit

Les «zones déconseillées» dans le collimateur des tour-opérateurs

La majorité des agences françaises respecte les préconisations du Quai d’Orsay. Mais à l’heure des ventes de voyages en ligne, difficile d’empêcher l’accès à certains pays.
(Photo Franck Bienewald. Getty Images – photomontage «Libération»)
publié le 13 mai 2019 à 20h56

Partir ou ne pas partir ? En France, la réglementation sur le tourisme dans les zones dites à risque peut se résumer à un code couleur. Sur le planisphère mis en ligne par le ministère des Affaires étrangères, les zones en rouge sont «formellement déconseillées». On y trouve la Somalie, une partie de la République centrafricaine, mais aussi la Libye ou le Yémen. Les pays en orange, comme le centre du Tchad ou l'ouest du Nigeria, sont eux déconseillés «sauf raisons impératives». Mais depuis le rapt des deux ressortissants français dans le nord du Bénin, le patron de la diplomatie, Jean-Yves Le Drian envisage fortement d'étendre la palette des pays en zone rouge.

Francs-tireurs

L'idée ne met évidemment pas en joie les tour-opérateurs et les agences de voyages. «Comment peut-on aller au-delà de ce qui est déjà en rouge et en orange ? On ne dessert déjà plus ces destinations, s'agace le président de l'association professionnelle des tour-opérateurs, René-Marc Chikli. «Nous déprogrammons 100 % des zones rouges et 98 % des zones orange. Pour les 2 % restant, nous demandons aux clients désireux de partir de signer un document indiquant qu'ils sont informés des recommandations du Quai d'Orsay, précise Jean-François Rial, PDG de Voyageurs du monde, l'un des principaux voyagistes français. Il y a dix ans, nous avons arrêté de commercialiser la Syrie un mois avant que le ministère ne déconseille cette destination.» Manière de dire que les professionnels du tourisme connaissent leur métier.

Depuis la sortie de son ministre, la diplomatie française reste néanmoins silencieuse sur les contours d'un éventuel durcissement des zones à risques. Il faut dire qu'avec l'essor des ventes de voyages en ligne, il est de plus en plus difficile de canaliser les flux de voyageurs. «Pour le Sri Lanka comme pour destinations, on ne peut pas empêcher les gens de voyager à partir du moment où il y a une compagnie aérienne et des agences de voage locales», constate René-Marc Chikli. Sans compter les voyagistes un peu francs-tireurs, à l'image de Clio qui commercialise aujourd'hui des séjours en Syrie. Ses dirigeants n'ont pas répondu aux questions de Libération.

Reste toutefois, pour le ministère des Affaires étrangères, une possibilité de suivre à la trace, les touristes français, qu’ils aient recours à un tour-opérateur ou non. Le système de traçabilité «Ariane» permet à qui franchit les frontières, de signaler aux autorités françaises son voyage, sa durée et sa destination. En cas de troubles dans une zone donnée, les pouvoirs publics envoient alors des messages préventifs aux voyageurs français répertoriés dans la région.

Mobiliser

Un mécanisme qui n'exonère pas les voyagistes de leurs responsabilités. Ils sont tenus, en cas de troubles, de rapatrier leurs clients à leurs frais. «De ce point de vue, la France est en avance sur la législation européenne. Tous les professionnels ont une assurance responsabilité civile pour faire face à ce genre de situation», précise René-Marc Chikli. Et pour cause, le retour anticipé de plusieurs milliers de touristes nécessite parfois l'affrètement de plusieurs avions.

Dans ces opérations de rapatriement, il arrive que l'Etat soit appelé à mobiliser ses moyens, en fournissant personnels et moyens logistiques militaires. Depuis le passage de Bernard Kouchner au Quai d'Orsay, le gouvernement a choisi de se couvrir financièrement pour faire face à ce genre de situation. Une loi, adoptée en 2010, permet à l'Etat de demander le remboursement des dépenses engagées aux «personnes s'étant délibérément exposées» à l'occasion de séjours dans des zones déconseillées. Simple mise en garde ou réalité ? Malgré les demandes insistantes de Libération, le ministère des Affaires étrangères a refusé d'indiquer combien de fois cette procédure a été mise en œuvre et le montant des dépenses récupérées.