Le gouvernement est prévenu : s'il veut continuer – comme il en a l'intention – à baisser les impôts de tout le monde, il va devoir sérieusement trouver des économies sur le budget de l'Etat et arrêter, du moins en partie, de «compenser» les suppressions de cotisations sociales (à la Sécu) et la fin programmée de la taxe d'habitation (aux collectivités locales).
C'est, en tout cas, le point de vue de la Cour des comptes dans son rapport sur «le budget de l'Etat en 2018» rendu public ce mercredi : «Il y a un lien entre les allègements de fiscalité et le niveau du déficit du budget de l'Etat si vous n'avez pas une action plus soutenue sur la maîtrise de la dépense, insiste le premier président de l'institution de la rue Cambon, Didier Migaud. Si les allègements de fiscalité ne s'accompagnent pas d'un effort accru en termes de maîtrise de la dépense, obligatoirement, ça a pour conséquence d'augmenter le déficit !»
«Baisses d’impôts proportionnées à l’effort de baisse de la dépense»
Et si l'exécutif se vante d'avoir réduit le déficit public (- 2,5 % du PIB l'an dernier après - 2,8 % fin 2017) ces dernières années, celui de l'Etat (donc hors Sécurité sociale et collectivités locales) s'alourdit de nouveau. «Pour la première fois depuis 2014, et après trois ans de quasi stabilité, pointe le rapport de la Cour des comptes, le déficit budgétaire de l'Etat s'est accru en 2018, passant de 67,7 milliards d'euros en 2017 à 76 milliards.» Soit, font remarquer les magistrats, «un montant supérieur» aux recettes de l'impôt sur le revenu, ou au budget de l'enseignement scolaire. Pour 2018, «les recettes [n'ont donc couvert] que neuf mois de dépenses», peut-on également lire dans le rapport. Sans l'excédent réalisé par la Sécurité sociale (plus de 10 milliards d'euros, soit 0,5 % du PIB), le déficit public se rapprocherait donc dangereusement de la limite européenne des 3 % que Matignon et les ministres de Bercy se sont juré de ne plus dépasser (hormis un «ressaut» en 2019 dû au double versement du crédit d'impôt compétitivité emploi transformé cette année en «baisse durable» de cotisations sociales).
Ce niveau de déficit de l'Etat préoccupe donc beaucoup la Cour des comptes. «Cela interroge sur la situation du budget de l'Etat par rapport aux autres administrations publiques. L'Etat définit la politique de prélèvement obligatoire, non seulement pour ses propres impôts mais aussi pour les ressources des collectivités locales et de Sécurité sociale, souligne Migaud. Or, l'Etat, on le voit bien, a quelques difficultés pour réduire ses propres dépenses. […] Remédier à cette situation à l'avenir implique que les baisses d'impôts soient proportionnées à l'effort de baisse de la dépense [et] que cet effort de maîtrise concerne l'ensemble des administrations publiques.» Entendre : les collectivités locales ne devront plus attendre des compensations totales de la part de l'Etat et ce n'est pas parce que se chiffres sont désormais dans le vert que la Sécu doit se dispenser d'efforts. En langage Cour des comptes ça donne : «L'Etat n'est pas à même de réduire ses propres dépenses à due concurrence des baisses de prélèvements opérés sur l'ensemble des administrations publiques. Ces baisses doivent donc s'accompagner d'efforts de réduction des dépenses sur l'ensemble du champ des administrations publiques et non du seul Etat.»
Légère hausse dans la fonction publique d’Etat en 2018
Car si ce dernier a, félicite l'institution, «limité» ses dépenses l'an dernier (+ 0,3 % contre + 3,2 % en 2017) et a pu compter sur de meilleures recettes qu'attendues (près de 9 milliards d'euros «toutefois annulés par les mesures fiscales», soit héritées de François Hollande, soit décidées par Emmanuel Macron), cela reste insuffisant pour Didier Migaud et les siens. Dans leur rapport, les magistrats pointent une légère hausse des effectifs de l'Etat (un peu plus de 200 équivalents temps plein supplémentaires – hors opérateurs – quand le gouvernement s'était engagé fin 2017 à en supprimer environ 300) et la «progression» (+ 2 %) des dépenses de personnel dans la fonction publique d'Etat entre 2017 et 2018. Un encouragement subtil lancé au gouvernement à tenir l'objectif présidentiel de suppression de 120 000 postes dans la fonction publique (70 000 dans les collectivités et 50 000 d'Etat) ? Dans sa conférence de presse, Emmanuel Macron avait laissé entendre que cet objectif pouvait être abandonné. «Je n'ai pas à commenter, répond Migaud. Mais si les pouvoirs publics affichent une volonté de maîtriser les dépenses, il faut bien agir. […] Ce n'est pas impossible. C'est une question de volonté politique.» Message transmis.