A l’Elysée, c’est un sujet de plaisanterie : «Ce gars-là, vous l’interrogez sur n’importe quel pays de l’UE, il est capable de vous en dessiner les paysages politique et géographique, de vous donner le nom de ses principaux dirigeants et souvent même de leurs prédécesseurs», s’emballe l’une de ses collègues, au cabinet du président de la République.
A 37 ans, le conseiller Europe du chef de l'Etat, Clément Beaune, s'est discrètement imposé comme l'un des plus solides piliers de la macronie. Omniprésent sur le front diplomatique, il est, toujours dans l'ombre, l'un des principaux stratèges de la bataille européenne. Depuis le discours de la Sorbonne sur la «refondation» de l'Union, en septembre 2017, jusqu'à la lettre pour une «renaissance» adressée début mars à tous les Européens, il a joué un rôle majeur dans la définition du projet défendu par Nathalie Loiseau et ses colistiers. Invisible dans la campagne, il prépare activement, en coulisse, les alliances et les tractations du jour d'après, quand le Parlement élu le 26 mai et le Conseil européen, qui se réunira le 28 mai, devront s'entendre sur les nominations des nouveaux dirigeants de l'Union. A commencer par le nouveau patron de la Commission européenne.
De tous les trentenaires du premier cercle, ceux qui ont été dès le début de l’aventure de la conquête du pouvoir, il est l’un des rares à rester fidèle au poste. A l’image de la plume du président Sylvain Fort ou du conseiller spécial Ismaël Emelien, beaucoup ont quitté le Palais et commencent lentement à être remplacés. Un temps pressenti comme possible successeur de Nathalie Loiseau au ministère des Affaires européennes, Beaune, lui, semble irremplaçable.
Mormons. Il ne fait pourtant pas partie de la garde rapprochée, ce petit groupe de marcheurs historiques qui avait pris la lumière dans la cour de l'Elysée le 14 mai 2017, jour de la cérémonie d'investiture. C'est qu'à la différence de ces derniers, des purs politiques surnommés «les mormons», il était moins impliqué dans la stratégie de conquête du pouvoir que dans la manière de l'exercer. Alors que la plupart des jeunes disciples de Macron se recrutaient parmi les strauss-kahniens, Beaune, lui, penchait plutôt du côté de la social-démocratie version Hollande. Avant d'intégrer l'ENA, il a été élève du collège d'Europe, prestigieux établissement qui forme, à Bruges, le gratin de la haute administration européenne.
Recruté en 2012 comme conseiller budgétaire du Premier ministre Jean-Marc Ayrault, il a rejoint en 2014 le cabinet du ministre de l’Economie, Emmanuel Macron. Le futur président en a fait son sherpa européen. Depuis le discours du candidat à l’université Humboldt de Berlin en janvier 2017, il a écrit la trame de la plupart des interventions de Macron sur l’Europe.
Précis, patient et pédagogue, il sait rendre intelligibles les interminables tractations des sommets européens. Depuis le début du quinquennat, alors que les communicants de l’Elysée consacraient beaucoup de leur énergie à tenir à distance les médias, Beaune est l’un des rares dans l’équipe présidentielle à répondre aux sollicitations des journalistes français et étrangers.
A Bruxelles et dans toutes les capitales européennes, il a noué des relations personnelles avec tous ses homologues ainsi qu'avec plusieurs responsables politiques de sa génération, comme l'influente porte-parole des Verts allemands, Franziska Brantner. Dans un portrait élogieux que lui consacrait le 6 mars le quotidien Handelsblatt, il est décrit comme plus lucide que bien des observateurs allemands dans son analyse de «la période de transition» dans laquelle est plongée la République fédérale depuis les élections législatives. «Ce n'est pas un sherpa classique, c'est un véritable interlocuteur politique», dit de lui un parlementaire LREM. Il est vrai que Beaune n'est pas diplomate de formation, comme le sont traditionnellement tous ceux qui l'ont précédé à ce poste. Vrai aussi que la question européenne a rarement été à ce point une prérogative exclusivement élyséenne.
Si la politique européenne de Macron se distingue de celle de ses prédécesseurs, c'est d'abord, selon Beaune, parce que ce président «assume de parler beaucoup d'Europe», d'entamer des négociations et de faire des compromis, à l'image de celui qui a été laborieusement négocié avec l'Allemagne sur le budget de la zone euro. Autre nouveauté inaugurée en 2017 et portée par le conseiller Europe : Paris parle désormais «à tout le monde», y compris aux petits pays, sans se laisser enfermer dans le couple franco-allemand. Le Brexit en a donné une illustration lorsque Macron a affiché son désaccord avec Angela Merkel, très accommodante avec Theresa May sur la date de sortie du Royaume-Uni : «On ne peut pas se résigner à ces Conseils européens illisibles. Etre ferme, c'est la condition de possibilité du projet renaissance. Les Européens doivent percevoir l'UE comme une puissance, pas comme une machine administrative», expliquait alors Clément Beaune.
Big-bang. Le 26 mai, il espère que les élus de Renaissance seront assez nombreux pour provoquer, avec un «groupe central», la recomposition qu’il a théorisée. Il connaît assez les subtilités de la culture parlementaire européenne pour savoir qu’on ne peut compter, à Bruxelles, sur un big-bang comme celui qui a chamboulé l’Assemblée nationale française en 2017. Il garde toutefois bon espoir qu’avec leurs alliés «pro-européens» les élus de Renaissance pourront empêcher que les conservateurs du PPE - cette famille qui s’est «élargie jusqu’à l’incohérence» - fassent, pendant cinq ans encore, la pluie et le beau temps au Parlement européen.