Emmanuel Macron veut «tout faire» pour que l'extrême droite ne finisse pas en tête le week-end prochain. Il y mettra «toute [son] énergie», disait-il le 9 mai, en marge d'un sommet en Roumanie. Il l'a répété vendredi à Biarritz, où il a appelé la jeunesse à se mobiliser contre le parti de Marine Le Pen. Avec ses soutiens, la tête de liste Nathalie Loiseau martèle sans relâche le même message. On en oublierait presque l'essentiel : cette première place en France doit rendre possible un autre objectif, au moins aussi ambitieux, celui de former au Parlement européen un nouveau groupe politique «incontournable» d'une centaine d'élus.
Avec leurs alliés recrutés parmi les centristes et les libéraux de tous les Etats de l'Union, les eurodéputés de la liste Renaissance seraient, disent-ils, en mesure de provoquer à Bruxelles une révolution : mettre fin à trente ans d'hégémonie des partis conservateurs (PPE) et socialistes européens (PSE). Si ces deux groupes ont de bonnes chances de garder les première et deuxième places, ils ne devraient plus être majoritaires à eux seuls (lire ci-contre). En troisième position, devant les écologistes, le groupe conduit par LREM serait dès lors «faiseur de roi». A l'Elysée, on fonde des espoirs sur cette «petite recomposition». Manière de reconnaître que l'on ne croit plus à la «grande», qui nécessitait le divorce entre une droite dure prête à pactiser avec le Hongrois illibéral Orbán et un centre droit «progressiste». Réplique européenne du big-bang qui vit se séparer en 2017 à l'Assemblée nationale la «droite Trocadéro» et la droite juppéiste.
«Influence»
Les macronistes veulent avoir leur mot à dire dans la séquence qui s'ouvrira, au lendemain du scrutin : formation des groupes politiques début juin et élection de leurs présidents avant la séance plénière qui désignera le 4 juillet le président du Parlement. Viendra ensuite, mi-juillet, l'échéance cruciale avec l'élection du successeur de Jean-Claude Juncker à la présidence de la Commission puis, à partir de septembre, la désignation des différents commissaires. Pour aborder cette séquence institutionnelle, il faut être prêt dès le 28 mai. Les stratèges de la macronie réfléchissent au meilleur moyen de «répartir l'influence française» en mettant «les bonnes personnes aux bons endroits». Faut-il briguer la présidence du futur «groupe central» ? Faut-il plutôt viser des présidences de commission parlementaire stratégiques, sur le commerce ou sur le climat ? La plus importante, la désignation du président de la Commission, requiert l'accord majoritaire du Parlement et des chefs d'Etat au Conseil européen.
De l'ex-Premier ministre LR Jean-Pierre Raffarin à l'ancien patron d'EE-LV Pascal Durand, ceux qui ont rallié la Renaissance macronienne dans cette campagne européenne le font en priorité parce qu'ils y voient le seul moyen de peser sur les nominations des six prochains mois. «A Noël, les jeux seront faits […]. Quel serait notre intérêt, aujourd'hui, d'affaiblir le président de la République alors que c'est lui qui a en charge nos intérêts ?» s'est interrogé Raffarin le week-end dernier à Strasbourg. «Tout se joue d'ici début novembre et l'entrée en fonction de la nouvelle Commission. Cela détermine 80 % du travail de la mandature. Il faut qu'on arrive à offrir une alternative en cassant le duo PPE-PSE», confirme Pascal Durand.
Macron a déjà laissé deviner tout le mal qu'il pensait de Manfred Weber, candidat au poste de président de la Commission (Spitzenkandidaten) de la CDU-CSU allemande que s'est choisi le PPE. Et qui est donc aussi celui du chef de LR, Laurent Wauquiez. «Il faudra procéder à des nominations cohérentes, avec des ambitions fortes. […] Nous devrons en tout cas éviter le compromis sur le moins bon candidat», a ainsi déclaré Macron à Sibiu. Eurodéputé sortant, Manfred Weber n'a jamais exercé de responsabilités ministérielles, contrairement à tous les ex-présidents de la Commission. A Bruxelles, il est largement admis que ce Bavarois n'a pas le niveau requis. Dans son entourage, on confirme que Macron verrait bien à ce poste le Français Michel Barnier, négociateur en chef du Brexit (LR). La commissaire européenne à la Concurrence, Margrethe Vestager, sociale-libérale danoise dont le parti est affilié à l'Alliance des libéraux et des démocrates pour l'Europe (Alde), apparaît aussi comme une bonne candidate.
Kyrielle
Dans le Parlement sortant, le groupe Alde compte 69 eurodéputés. Il a vocation à se fondre dans celui, charnière, plus vaste et plus influent, que parrainerait le président français. Mais ce pari est loin d'être gagné. D'abord parce qu'à droite comme à gauche, les pertes ne seront peut-être pas aussi significatives qu'espéré. Ensuite parce que pour se rendre «incontournable», «le groupe central» devra commencer par s'assurer de sa cohérence. Plusieurs cultures politiques coexistent en effet dans la kyrielle de mouvements que prétend fédérer Macron : aux côtés d'ardents pro-UE, il y a des libéraux purs et durs - le parti du Premier ministre néerlandais, Mark Rutte, ou le FDP allemand -, hostiles à toute velléité de protectionnisme européen. C'est notamment pour imposer son leadership à ces alliés incommodes que Macron a besoin le 26 mai au soir de finir devant le parti de Marine Le Pen.