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Libération
L'âge bête

Prélever du caviar sans tuer les esturgeons… un élevage de l'Hérault a trouvé la technique

Prendre les œufs, pas la vie : une entreprise familiale produit du caviar en pratiquant des césariennes sur ses esturgeons.
publié le 19 mai 2019 à 11h23

En général, les producteurs de caviar ne s'embarrassent guère : ils éventrent les femelles esturgeons pour récolter leurs œufs. Dans son exploitation située à Marseillan (Hérault), François René, 73 ans, a développé une méthode grâce à laquelle les poissons aux œufs d'or ont la vie sauve. «Le principe de notre technique novatrice, c'est de produire du caviar sans détruire ni faire souffrir», résume cet ancien directeur de recherches à l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer).

Spécialiste en aquaculture, François René a passé plus de quarante ans à parcourir le monde pour installer des fermes piscicoles à l'étranger. Durant ces années de recherches, il s'est notamment intéressé à la pêche des esturgeons sauvages dans l'ex-URSS, responsable d'une surexploitation des stocks. En 2016, lorsqu'il décide de lancer son propre élevage, François René choisit donc d'explorer une nouvelle voie. Son fils Frédéric, 35 ans, qui a rejoint l'entreprise familiale, raconte : «Habituellement, on tue les femelles vers l'âge de 8 ans pour prélever leurs œufs alors que ces animaux peuvent vivre jusqu'à 50 ans. Dans notre exploitation, les poissons ont la vie sauve : après avoir réalisé une échographie sur chaque esturgeon pour vérifier la taille de ses œufs, nous pratiquons une césarienne au bon moment, au bistouri, puis nous recousons la plaie.»

«Ni stress ni douleur»

François et Frédéric René ne s'attardent pas sur les détails de ce «procédé de fabrication» confidentiel et encore en phase expérimentale. Mais tous deux soulignent que cette opération est réalisée sous contrôle vétérinaire et pratiquée sous «anesthésie naturelle» : «Nous faisons descendre la température de l'animal en le plongeant dans un bain froid jusqu'à ce qu'il tombe en catalepsie. L'objectif est qu'il ne ressente ni stress ni douleur. A cet égard, nous poursuivons d'ailleurs nos recherches pour nous en assurer, détaille Frédéric René. Après l'opération, le temps de cicatrisation est d'environ deux mois. Le taux de survie de nos esturgeons dépasse les 90%.»

Cette entreprise exploite aujourd'hui une centaine d'esturgeons femelles. Car les mâles sont inutiles dans de tels élevages : comme chez les poules pondeuses, les œufs récoltés ne sont pas fécondés. «En général, les femelles produisent des œufs tous les deux ans, et jusqu'à la fin de leur vie, car la ménopause n'existe pas chez les poissons», explique François René. Autre particularité soulignée par l'ancien chercheur : «A l'état sauvage, pour libérer leurs œufs, les femelles sont fréquemment amenées à s'éventrer en se frottant contre un rocher. Leur orifice de ponte est en effet resté primitif et pour elles, la ponte est souvent difficile. La plaie cicatrise ensuite d'elle-même.»

Selon le WWF, le nombre d’esturgeons vivant à l’état sauvage a diminué de 70% au cours du siècle dernier en raison de la surpêche, du braconnage, de la pollution et de la destruction de leurs milieux naturels. Il est désormais interdit de pêcher des esturgeons sauvages, et 50 pays européens ont adopté un ambitieux plan d’action pour tenter de sauver cette espèce grandement menacée.