Cela commence à faire beaucoup. En quelques jours, plusieurs journalistes enquêtant sur les agissements des autorités françaises ont été convoqués par la justice. Les premiers, membre du consortium Disclose, pour avoir révélé un document sur l'implication de la France dans la guerre du Yémen. Une autre, Ariane Chemin du Monde, pour avoir rendu publics la fonction militaire d'un certain Chokri Wakrim lié à l'affaire Benalla. On dira que s'il existe un «secret défense», il faut bien le faire respecter, ou encore que l'identité et le poste d'un membre des services spéciaux ne doivent pas être mentionnés, sous peine de menacer sa sécurité. Certes. Mais n'est-ce pas aussi le rôle des journalistes que de cerner l'action exacte de la France dans un conflit extérieur, ou bien de montrer qu'un militaire aux responsabilités sensibles se livre aussi à d'étranges opérations avec un oligarque russe, en contradiction avec sa mission ? N'y a-t-il pas, pour le moins, conflit entre une règle de secret et le droit du public à être informé des écarts ou des actions contestables de l'Etat ou de ses agents ? Surtout quand le gouvernement s'emploie à camoufler sous des déclarations lénifiantes la réalité des choses, c'est-à-dire, in fine, à tromper l'opinion. Au-delà de la discrétion nécessaire aux opérations de guerre, il faut craindre que les autorités cherchent surtout à identifier les sources qui sont à l'origine de ces révélations, de manière à les sanctionner et à intimider, outre la presse, les agents de l'Etat qui seraient tentés de divulguer des informations politiquement gênantes. L'Etat est fondé à protéger ses actions secrètes légitimes dans un monde dangereux. L'est-il encore quand il veut surtout dissimuler des errements ou des fautes ? Si tel était le cas, nous serions en présence d'une atteinte caractérisée à la rectitude démocratique. On ose espérer que ces inquiétudes seront rapidement dissipées.
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