Il inaugure une longue série. Le premier procès des «décrocheurs» s'est tenu ce mardi à Bourg-en-Bresse (Ain). A ce jour, 53 portraits du président de la République ont été «réquisitionnés» dans des mairies par des militants d'ANV-Cop 21, qui dénoncent «l'inaction climatique et sociale» de l'Etat français. Six membres du groupe de Villefranche-Beaujolais-Saône ont donc comparu pour «vol en réunion et par ruse», après avoir subtilisé le 2 mars, avec sept autres personnes, la photo d'Emmanuel Macron dans la salle des mariages de Jassans-Riottier (Ain) et avoir refusé, pour cinq d'entre eux, de se soumettre à un prélèvement ADN. Le maire sans étiquette de cette commune de 6 000 habitants s'est porté partie civile.
En début d'après-midi, plusieurs centaines de personnes se sont réunies devant le palais de justice de Bourg-en-Bresse pour scander «Décrochons Macron», tandis que les prévenus faisaient leur entrée dans l'édifice. Quatre hommes et deux femmes, âgés de 36 à 63 ans, encourent jusqu'à dix ans de prison et 150 000 euros d'amende. «Nous avons des parcours de citoyens assez classiques, nous ne sommes pas forcément des super-héros du climat ou de la militance, ont-ils expliqué lors d'une conférence de presse. Mais nous sommes tous emprunts d'un sentiment de légitimité vis-à-vis de cette lutte, nous ne voulons plus voir nos conditions de vie changer dramatiquement.»
Chaos climatique
Pour témoigner du «chaos climatique» à venir, les avocats de la défense ont fait citer à la barre trois «sachants» : Wolfgang Cramer, directeur de recherche au CNRS et contributeur du Giec, Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France, et Frédi Meignan, président de Mountain Wilderness France. Peine perdue : le président du tribunal, Hervé Blanchard, refuse leur audition, arguant qu'ils «ne connaissent pas les prévenus et n'étaient pas là pendant les faits». Le magistrat, malgré le cadre relativement contraint de l'audience correctionnelle, va cependant laisser un large espace à la revendication politique lors des débats.
«Il a pu apparaître qu'il s'agissait d'un simple emprunt servant pour une vraie cause. Je n'ai pas à en juger, mais quel est le lien de nécessité consistant à voler un portrait du Président pour sauver l'humanité ?» interroge Hervé Blanchard. «Par la voie du dialogue, rien n'avance. C'est un des moyens pour se faire entendre et dirait-on, on a tapé juste», répond un prévenu, avant de brocarder le «dernier truc que nous a sorti Macron», le comité de défense écologique. Une autre prévenue souligne n'avoir «aucun intérêt financier ou personnel dans cette action». «Vous avez décroché le portrait de Macron parce que l'Etat a décroché de ses engagements, c'est ça ?» s'éclaire le président.
Mais où a bien pu passer l'objet tant convoité ? Les clichés présidentiels «ressortent sur le territoire à des occasions importantes», ont expliqué les militants lors de leur conférence de presse anté-audience. L'objectif d'ANV-Cop 21 est d'atteindre les 125 portraits en vue du G7, qui aura lieu à Biarritz fin août. 125, comme le nombre de jours au-delà duquel la France a grillé l'intégralité de ses ressources. «Vous promenez M. Macron pour l'emmener manifester, voir la réalité de près ?» résume le président. A un autre prévenu, qui défend une «action symbolique», il demande : «C'est quand même un peu une atteinte à l'autorité de l'Etat ?» Réponse du militant : «J'espère que l'autorité de l'Etat ne se résume pas à un portrait dans une salle de mariage.»
Neuf autres procès à venir
Sur le refus de prélèvement ADN, qui exclut un seul prévenu (il a accepté de s'y soumettre sur la foi d'informations données par les gendarmes – fausses, confirme le tribunal), tous répondent ne pas se considérer comme «des délinquants», et soulignent la «disproportion» des moyens employés. Neuf autres procès sont déjà prévus à Strasbourg, Bonneville, Lyon, Paris (où les militants seront jugés par la chambre antiterroriste), Orléans, Mulhouse, Grenoble et Saint-Etienne.
Lors de son réquisitoire, le procureur adjoint, Eric Sandjivy, s'est estimé «instrumentalisé» : «Ce tribunal en premier, et tous ceux qui seront saisis vont faire office de tribune politique et c'est là où ça me gêne», a-t-il raillé, prédisant une suite en appel, puis devant la Cour de cassation : «Et en filigrane, il y aura la cour européenne des droits de l'homme…» prédit le magistrat. Se défendant de juger «sur les convictions», il a requis, loin des peines encourues, des amendes de 1 000 à 2 000 euros. Le jugement a été mis en délibéré au 12 juin.