Revoir ces couvertures de magazines à la lumière des résultats de l'élection européenne fait mal à droite et rire à gauche. François-Xavier Bellamy, le philosophe par qui «la droite est de retour» selon le Figaro Magazine, «l'intello qui secoue la droite» d'après Valeurs actuelles, ou «l'homme qui réveille la droite» pour le Point, a fini sa sainte campagne avec 8 % des suffrages. Et plongé son parti, Les Républicains (LR), dans une crise d'identité dont on serait bien en peine de deviner toutes les conséquences.
La presse de droite, plus ou moins conservatrice en fonction des titres, a souvent vu dans l'émergence du Versaillais le signe de la renaissance à venir, sur une ligne politique assumée, d'un parti moribond. Elle l'a désigné comme le digne héritier de la droite «Trocadéro», qui avait accompagné François Fillon au pire des moments en 2017 et a fortement soutenu Bellamy ces dernières semaines. A l'arrivée, elle ressort de ce scrutin avec une sacrée gueule de bois. «Hamonisée», pourrait-on dire, comme l'ont été certains électeurs de gauche au printemps 2017, lorsque Benoît Hamon termina la course présidentielle avec 6 % des voix. L'état d'«hamonisation» inflige une descente brutale à ses victimes, qui se rêvent dominants dans la population et se réveillent ultraminoritaires. Il est d'autant plus dur à vivre pour ceux qui ont construit leur discours de légitimation sur le fait qu'ils seraient, eux, en phase avec le pays réel, la majorité silencieuse, muselée par une tyrannique minorité de bobos bien-pensants déconnectés. Ainsi vont Valeurs actuelles et les autres.
Idylle
Pendant la campagne, l'amour de Valeurs actuelles pour Bellamy est allé jusqu'à qualifier ce dernier d'«élixir». Nul doute que le philtre a un goût amer aujourd'hui. «Ses adversaires jubilaient à l'idée que la candidature du philosophe tourne à la catastrophe. Il se révèle comme celui qui relève sa famille», écrivait l'hebdomadaire le 20 mars, à l'occasion d'une couverture ayant pour titre «L'heure du sursaut». «Il est jeune, il est beau, il est cultivé et il est intelligent», s'enflammait un chroniqueur du magazine. Appelée à témoigner des qualités du nouvel eurodéputé, une ancienne élève du prof de philo n'hésitait pas à évoquer un «enfant du miracle» : «Cela pouvait durer longtemps, nous écoutions admiratifs ce navire voguer en plein océan, évitant les remous. Tentant de retenir et de gratter quelques miettes de cette érudition.» Diable…
Conçu comme un instrument de conquête idéologique pour une droite identitaire, Valeurs actuelles a manifestement pris ses désirs pour des réalités. «Je n'ai pas de regret, répond Geoffroy Lejeune, directeur de la rédaction de l'hebdomadaire. Je n'ai pas l'impression que l'on ait trompé notre lectorat. A un moment, sa campagne a connu un frémissement. Mis à part certaines chroniques et tribunes, il y a eu un traitement factuel et positif de la part de la rédaction. Bellamy est un personnage nouveau, intelligent, intéressant. Il est agréable de discuter avec lui, il tranche avec le monde politique, il n'est pas dans la langue de bois. Il est frais. C'est aussi pour ça qu'on a tant parlé de lui.»
La médiocrité du score final du champion de LR est-elle une déception ? «J'ai arrêté d'être déçu par les résultats des élections, concède le journaliste, qui ne se cache pas d'être de droite radicale. En revanche, je suis très surpris. Depuis trois ans, nous pensons que nous sommes hégémoniques sur le plan culturel. Ce n'est pas vrai. Macron sait très bien parler à la droite en lui envoyant des signaux. C'est un génie de la triangulation.» Soit la stratégie politique consistant à se glisser dans les interstices de différentes familles de pensée pour aller piocher dans chacune d'elles.
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Du côté du Figaro Magazine, le soutien a été moins flamboyant, moins répété mais réel. Début mai, le journal s'enthousiasmait pour un candidat qui «fait des miracles», mais remarquait, plus lucide que son confrère, que les sondages ne progressaient plus. L'idylle entre Bellamy et le Fig Mag ne date pas des bonnes études d'opinion de mars. En septembre 2018, le philosophe, pas encore désigné tête de liste LR, faisait l'objet d'un panégyrique intitulé «Le petit prince» : «A le voir sur la scène du théâtre Saint-Georges, impossible de ne pas penser au Petit Prince. Comme le héros à la chevelure dorée et à l'écharpe aérienne, il semble débarquer d'une autre planète. Non pour soigner l'âme de l'aviateur égaré dans le désert, mais celles d'un public en quête de sens», brûlait alors Alexandre Devecchio. Quelques lignes plus loin, le jeune journaliste souverainiste-identitaire, devenu l'une des figures médiatiques du journal de la famille Dassault, formulait l'explication du coup de foudre de cette nouvelle droite pour l'intellectuel, antithèse enracinée d'un chef de l'Etat perçu comme mondialiste : «La vision spirituelle qu'il propose est le parfait négatif du projet technico-marchand qui préside aujourd'hui. Et Bellamy lui-même d'apparaître comme le double inversé de Macron.» Interrogé à ce sujet, l'auteur de l'article affirme sa «sympathie» pour l'homme d'idées qu'est Bellamy, mais explique ne pas avoir été «un chaud partisan» de son débarquement dans l'arène politique. «A titre personnel, je considère que la disparition des Républicains n'est pas forcément une mauvaise nouvelle, car c'est un parti du vieux monde, commente Alexandre Devecchio. Le processus de recomposition politique est enclenché. Il était difficile à Bellamy d'inverser la tendance.» Autrement dit, ce serait moins la défaite du candidat-philosophe que celle du parti de Laurent Wauquiez.
Parallèle
Sur l'enthousiasme du Figaro pour Bellamy, le directeur des rédactions, Alexis Brézet, lâche un rire bonhomme : «Il n'est pas invraisemblable que le Figaro ait une préférence pour le candidat de la droite classique… Nous n'avons pas été les seuls à ne pas voir que François-Xavier Bellamy finirait à 8 %. Tout le monde s'est trompé. Nous avons fait une couverture du magazine avec lui, mais nous n'avons pas été unilatéraux, ni sectaires, dans notre traitement de la campagne. Nathalie Loiseau et Edouard Philippe se sont exprimés dans nos pages en interview à des moments importants.» Le patron du grand journal de la droite dresse un parallèle historique : «Rappelez-vous l'emballement en 2002 autour de la candidature de Jean-Pierre Chevènement. Il avait aussi ce côté intellectuel, qui a peut-être joué en faveur de Bellamy.»
Beaucoup moins tradi que ses deux congénères, plus libéral et plus européen, le Point a regardé la trajectoire de François-Xavier Bellamy avec davantage de distance. Une couverture flatteuse et un grand entretien lancé par un texte optimiste mais mesuré. Le directeur de l'hebdomadaire, Etienne Gernelle, n'y trouve rien à redire. «Bellamy est passé de 10 % à 14 % dans les sondages, il y avait un petit engouement à droite, un intérêt pour le personnage, qui est assez étonnant. C'est normal de le faire ! Les unes d'un magazine n'ont rien à voir avec un album Panini. Ce ne sont pas des affiches de soutien. La presse est curieuse de ce qui est nouveau, c'est notre boulot. Pas de faire des paris, on n'est pas des bookmakers. Qu'un candidat se vautre ou pas, il peut être intéressant à raconter.» Les regrets du successeur de Franz-Olivier Giesbert vont ailleurs : «Notre erreur, c'est plutôt Jadot [tête de liste EE-LV, qui a rassemblé 13 % des suffrages, ndlr]. On n'en a pas assez parlé. C'est plus emmerdant de ne pas voir celui qui monte que de ne pas voir celui qui descend.»