Ce mercredi, le premier #BalanceTonPorc de l'histoire a été disséqué devant la 17e chambre civile du tribunal de grande instance de Paris et le moins que l'on puisse dire, c'est que ce procès en diffamation était attendu. Par le plaignant bien sûr, Eric Brion, qui patientait depuis «un an et demi pour pouvoir enfin laver son honneur.» Par la femme poursuivie, Sandra Muller, créatrice de ce hashtag mondialement connu et «fière d'avoir contribué à la libération de ce cri de colère collectif». Par les avocats aussi, Francis Szpiner et François Baroin côté Muller, Marie Burguburu et Nicolas Bénoit côté Brion, ravis de pouvoir en cette grande occasion confronter leurs talents d'orateur devant une salle d'audience pleine à craquer.
L'objet du procès est donc ce tweet litigieux, posté par la journaliste Sandra Muller le 13 octobre 2017 depuis New York et dans lequel il est écrit «Tu as des gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit. Eric Brion, ex-patron de Equidia. #Balancetonporc.» Le jour de la publication, le message est précédé d'un premier tweet qui formule, dans le sillage de l'affaire Weinstein : «#Balancetonporc !! Toi aussi raconte en donnant le nom et les détails un harcèlement sexuel que tu as connu dans ton boulot.» En quelques jours, des centaines de Françaises s'emparent du mot-clé et témoignent à leur tour de violences sexistes et sexuelles.
«Je suis devenu un paria»
«Et moi dans cette histoire, j'ai été condamné de premier "porc" par un tribunal un peu spécial qu'est Twitter. Ce tribunal où tous les coups sont permis, les menaces, les insultes, les attaques, les manipulations. Où il est impossible de se défendre», a regretté Eric Brion en préambule de son discours face aux juges, l'air grave et l'élocution facile. «Aujourd'hui, mes copains me tournent le dos, ma compagne m'a quitté, mes rendez-vous professionnels sont annulés. Je suis devenu un paria. Si je suis ici, c'est pour vous dire que je ne suis pas un harceleur, encore moins un prédateur sexuel.»
Les faits évoqués dans ledit tweet remontent au printemps 2012, lors d'une soirée festive en marge du Marché international des programmes (MIPTV) organisé à Cannes. A cette époque, Eric Brion est directeur général de la chaîne télévision Equidia. Sandra Muller est journaliste indépendante et directrice de publication de la Lettre de l'audiovisuel. Les deux professionnels se côtoient dans le métier depuis plusieurs années. «Ce soir-là, on commence à discuter, on échange quelques coupes de champagne, recontextualise l'homme à la barre, le regard fixé droit devant lui. Elle m'attire. Je lui dis une première chose "tu m'impressionnes, tu es mon type de femme, tu es brune, tu as de beaux seins". Elle me repousse. Blessé dans mon orgueil, je pars et je lui dis "c'est dommage, je t'aurais fait jouir toute la nuit".» Le lendemain matin, il lui enverra un SMS d'excuses, qui restera sans réponse.
«Vous voyez du harcèlement sexuel dans le cadre du travail, vous, dans ce récit ? Elle est où, la répétition des faits ? Elle est où, la subordination hiérarchique ? Nulle part. Le tweet est diffamatoire, puisqu'il impute une infraction pénale qui n'est pas vraie. En définitive, ce n'était que de la drague lourde», a soutenu maître Bénoit, l'un des avocats d'Eric Brion, dans une plaidoirie 100% juridique. Sa consœur Marie Burguburu est, elle, passée à l'attaque : «Nous avons en face de nous une usurpatrice, une menteuse, qui s'est mise en scène et qui a commis un véritable hold-up en surfant sur la vague Harvey Weinstein. Elle a bousillé la vie d'Eric Brion pour une broutille.»
«Elle a ouvert le chemin»
Des accusations inaudibles pour Francis Szpiner, le conseil principal de la prévenue, qui s'est d'abord attelé à répondre au débat juridique stricto sensu. «Comment Madame Muller pourrait-elle être condamnée pour diffamation alors qu'Eric Brion lui-même a reconnu avoir prononcé ces propos déplacés ? Comment condamner un tweet qui ne dit que la vérité ?» Avant de répondre à la partie adverse : «Dire "tu as des gros seins", ce sont des propos dégradants, qui sont vécus comme une agression ou une offense. Si ce hashtag a eu du succès, c'est parce que des milliers de femmes se sont reconnues et en ont assez d'être considérées comme des objets de plaisir à disposition.»
«Elle a donné le courage, elle a donné le point d'appui, elle a ouvert le chemin, a poursuivi François Baroin, le second avocat de la prévenue. Soit vous condamnez Madame Muller et ce sera le bâillon supplémentaire. Soit vous déboutez Monsieur Brion de ses folles revendications et vous serez sur le chemin de l'évolution de la société.»
Pour clore l'audience, Sandra Muller s'est avancée à la barre pour énoncer quelques mots, impavide. «J'ai poussé un cri de colère, sans aucune intention de nuire. J'espère que, grâce à ce mouvement, on ne parlera plus de crise d'hystérie féminine.» Durant tout le procès, elle n'aura jeté que quelques coups d'œil au camp d'en face. Le jugement sera rendu le 25 septembre.