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Libération
Analyse

Un siphonnage inespéré pour LREM

Après avoir récupéré les voix de nombre d’électeurs LR aux européennes, l’objectif du parti présidentiel est désormais de débaucher les maires de droite.
publié le 3 juin 2019 à 21h06

L'effondrement de la droite ? Une bouffée d'oxygène inespérée pour la majorité, même si la démission surprise de Laurent Wauquiez vient un peu gâcher la fête. «Surtout, qu'il reste en poste le plus longtemps possible !» priaient la semaine dernière les ex-LR qui ont rejoint Macron en mai 2017. Un chef de la droite s'accrochant bec et ongles à son poste et à sa ligne «identitaire», c'était pour eux le plus sûr moyen d'attirer à eux les élus de l'ex-UMP après avoir siphonné leurs électeurs le 26 mai, à l'occasion des européennes.

Il n’empêche. A neuf mois de l’échéance, les municipales sont devenues nettement moins menaçantes pour le jeune parti présidentiel. Faute d’implantation locale, le risque d’une lourde sanction était en effet non négligeable, surtout avec un exécutif toujours plombé par un niveau d’impopularité record. Tout indique désormais que cette épreuve de mi-mandat pourra être franchie sans encombre. Certes, cette majorité ne peut raisonnablement prétendre seule à la victoire. Mais elle peut espérer que dans le désordre politique ambiant, de nombreux maires sortants soient tentés de privilégier les enjeux locaux, en proclamant qu’ils n’ont pas d’autre parti que leur ville et en nouant de discrètes alliances avec des macronistes.

Le vivier des élus concernés est particulièrement riche. En 2014, l'UMP alors présidée par Jean-François Copé avait enregistré aux municipales un succès historique. Dans les 1 100 villes de plus de 9 000 habitants, des centaines de maires sortants de gauche avaient été balayés, victimes collatérales de l'impopularité record du président Hollande. Depuis cette «vague bleue», plus de 60 % de ces communes françaises sont contrôlées par des maires de droite, souvent jeunes et bien décidés à briguer un second mandat en mars 2020. Avec Gérald Darmanin et Sébastien Lecornu, élus à Tourcoing (Nord) et à Vernon (Eure) en 2014, deux éminents représentants de cette génération sont d'ailleurs au gouvernement. Tout comme le Premier ministre, réélu lui aussi au Havre en 2014, ces anciens de LR ont changé de statut depuis les européennes : ils étaient «les traîtres» pilonnés depuis deux ans par Laurent Wauquiez et ses porte-parole à l'Assemblée nationale, les voici soudain devenus beaucoup plus fréquentables. Depuis le 26 mai, ils ont été sollicités par de nombreux élus de leur ancienne famille politique. «J'ai beaucoup de promesses de vente», confie un ministre issu de la droite. Il est vrai que dans la quasi-totalité des villes de plus de 10 000 habitants, la liste Loiseau a largement distancé la liste Bellamy.

Ministre des Collectivités locales, Lecornu est le maître d'œuvre de cette grande opération siphonnage. «Il faut que les maires LR fassent preuve de clarté. Et la plus grande preuve de clarté pour les maires de droite, c'est de quitter LR», a-t-il expliqué ce week-end dans le Journal du dimanche. Ajoutant que le gouvernement présentera mi-juin un projet de loi pour soutenir «l'engagement des maires». Il s'agira, promet-il, de «redonner du pouvoir» à ces élus trop aveuglément «dépossédés de leurs prérogatives» à la faveur du développement des structures intercommunales. Selon Lecornu, cette politique est «une traduction concrète du grand débat national». Elle devrait aussi, accessoirement, encourager les maires à se montrer bienveillants et coopératifs…

«Responsabilité»

Dans son opération de charme en direction des élus locaux de droite, l'exécutif peut compter sur l'expertise et l'expérience de conseillers qui ont traversé l'histoire de la droite, du RPR jusqu'à LR, en passant par l'UMP. A l'Elysée, Emmanuel Macron vient de recruter Jérôme Peyrat, énarque, inspecteur général de l'administration et maire de La Roque-Gageac (Dordogne) depuis vingt-cinq ans. Très hostile à la ligne identitaire incarnée par Wauquiez, cet ancien du RPR a conseillé Jacques Chirac puis Nicolas Sarkozy. Dans un cabinet présidentiel jusqu'à présent exclusivement peuplé de conseillers venus de la gauche, les maires LR ont désormais un interlocuteur qui parle leur langue. Depuis le soir des européennes, Peyrat est destinataire, lui aussi, de nombreuses «promesses de vente». C'est également le cas de Xavier Chinaud, son homologue au cabinet du Premier ministre. Proche de Jean-Pierre Raffarin et ancien cadre de Démocratie libérale, Chinaud connaît parfaitement les élus locaux de la droite et du centre. Tout particulièrement ceux qui sont passés, comme lui, par l'ex-UDF.

A l'image du maire LR de Quimper (Finistère), Ludovic Jolivet, et de celui de Saint-Cloud, Eric Berdoati, plusieurs élus ont déjà annoncé qu'ils quittaient LR. Egalement président du groupe LR au conseil départemental des Hauts-de-Seine, où la liste Loiseau a fait ses meilleurs scores, Berdoati regrette qu'avec Wauquiez la droite ait cessé de défendre certaines de ses «valeurs», notamment «la responsabilité». Pour 2020, il annonce qu'il restera «sans appartenance partisane». Jolivet, lui, fait un pas de plus : il rejoint le micro-parti Agir, présidé par le ministre de la Culture, Franck Riester, et créé au début du quinquennat pour servir de refuge à ceux qui veulent quitter le navire LR, sans pour autant rejoindre LREM.

Pilotée en coulisse depuis l’Elysée et Matignon, l’entreprise de débauchage est mise en œuvre par le parti majoritaire. La direction a validé lundi la composition de la commission nationale chargée d’étudier, au cas par cas, la situation des villes de plus de 9 000 habitants. La députée LREM Marie Guévenoux, ex-juppéiste, a été choisie pour présider l’instance au côté du sénateur Alain Richard, ministre de la Défense dans le gouvernement Jospin. Depuis le début de l’année, les deux parlementaires ont fait le point, département par département, avec les équipes locales de LREM. Impossible, prévient Marie Guévenoux, de fixer depuis Paris une doctrine applicable dans tous les cas. S’agissant des maires LR, il faudra selon elle distinguer ceux qui se sont toujours montrés coopératifs de ceux qui se définissent eux-mêmes comme des élus d’opposition. Les premiers se verront proposer des alliances, à condition que leurs listes soient ouvertes aux marcheurs. Cela ne devrait pas poser de problème aux nombreux maires LR élus en 2014 sur des listes d’union avec des centristes de l’UDI ou du Modem qui sont devenus en 2017 des soutiens du Président.

Dilemme

Les anti-Macron revendiqués, eux, auront des candidats de la majorité face à eux. Ce sera le cas du maire de Chalon-sur-Saône, Gilles Platret, ou de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), Pierre-Christophe Baguet. Selon Pierre Person, numéro 2 de LREM, tous les signataires de la tribune de soutien à François-Xavier Bellamy, publiée dans le JDD durant la campagne, ont également vocation à se voir opposer un concurrent. Pour d'autres, il y aura débat. Notamment quand un maire sortant jugé Macron-compatible depuis Paris fait face, dans sa ville, à des marcheurs qui veulent sa tête. C'est le cas de Jean-Luc Moudenc à Toulouse, de Christophe Béchu à Angers, d'Olivier Carré à Orléans ou de Christian Estrosi à Nice. Dans toutes ces villes, le parti de Macron devra arbitrer ce dilemme : satisfaire sa base en prenant le risque de mener des batailles difficilement gagnables ou neutraliser le scrutin en imposant de confortables alliances.