Les écologistes ne touchent plus terre. Perchés sur leur petit nuage, ils guettent le monde politique qui s'agite autour d'eux, la foule leur faire des grands signes de la main. Mais les Verts regardent ailleurs. Après leur joli score aux européennes (13,4 %), ils rêvent de conquérir le pays tous seuls, comme des grands. Persuadés que l'écologie devient la seule force capable de rivaliser face aux libéraux et aux nationalistes et que la gauche ne se conjugue plus au futur. Dans un entretien au Monde, le chef de file, Yannick Jadot, explique : «Le mandat que nous avons reçu avec cette élection, c'est de sauver l'avenir, pas le passé, sauver le climat et pas les vieux appareils. Je ne participerai pas à un rafistolage du paysage politique du XXe siècle.» Afin de réussir leur pari, les Verts ouvriront, dans les mois à venir, les portes de leur parti, à commencer par des «états généraux de l'écologie politique» fin août à Toulouse. Ils espèrent attirer la jeunesse qui défile dans la rue et les militants associatifs écologistes afin de faire fructifier leur magot de trois millions de voix du 26 mai.
Des mots et une stratégie qui ont fait sursauter la gauche. Après des mois passés à l'ombre de La France insoumise - qui s'est plantée dans les urnes -, de nombreuses formations, à l'image du Parti socialiste et du mouvement Génération·s, se frottaient les mains, toutes heureuses de la nouvelle configuration politique. Aujourd'hui, elles s'inquiètent, craignent de ne pas pouvoir discuter d'un futur commun avec les écolos… alors qu'elles se disent toutes prêtes à placer l'écologie au cœur de leur programme. Ironie de l'histoire, mercredi après-midi, Jean-Luc Mélenchon a tapoté sur les réseaux sociaux : «Triste sectarisme de Jadot qui prétend décider qui est écolo et qui ne l'est pas. Une pensée vert-de-gris.» En quelques semaines, les Verts ont changé de statut : ils passent de gentils à méchants. Tout va très vite en politique.
Gourmandise
Dimanche 26 mai : les scores aux européennes tombent et la liste menée par Jadot s'invite sur la troisième marche du podium. Un petit séisme. Le nouvel homme fort vert en profite pour présenter son amoureuse, la journaliste Isabelle Saporta. Le couple marche sous l'œil de Paris Match. La mise en scène n'a pas fait marrer tous les dirigeants d'Europe Ecologie-les Verts (EE-LV). Qu'importe. L'histoire est belle, et pas anodine : le député européen prend en main son récit politique afin d'entretenir la flamme. La présidentielle est (déjà) dans les têtes. Jadot se verrait bien succéder à Macron. Pour le moment, c'est un secret, il ne faut pas le dire trop fort, mais «avoir un président écologiste, ce n'est plus un rêve», s'enthousiasme la nouvelle eurodéputée Marie Toussaint. Sauf que la route est encore très longue et semée d'échéances électorales. Les grands du jour peuvent se retrouver petits demain. Et vice-versa.
Sûrs de leur coup, les écologistes laissent dire en guettant les municipales de 2020 avec gourmandise. Yannick Jadot ne cache pas que son parti désire conquérir des grandes villes, notamment sur les terres de gauche, comme Paris, Rennes ou Nantes. Une déclaration de guerre. Une tête pensante détaille la stratégie : «Chez nous, il n'y a pas de consignes nationales, chaque candidat est libre de discuter et de faire des alliances localement. Il y a une seule consigne : le contrat doit se faire autour de notre programme.» Une stratégie qui ressemble à celle de La France insoumise : la porte est ouverte à tous ceux qui sont d'accord avec nous. Le patron du parti, David Cormand, précise à chaque fois qu'un micro s'allume qu'il ne faut pas confondre «leadership et hégémonie». D'ailleurs, contrairement à Yannick Jadot, le secrétaire national de EE-LV ne ferme pas totalement la porte à la «vieille gauche». Cormand veut faire les choses dans l'ordre : créer une grande force écologiste puis construire «un arc à vocation majoritaire» avec tous ceux qui se sentent «proches» de leurs idées. «Vous imaginez si on dit à la nouvelle génération que nous souhaitons écrire une grande histoire écolo avec le PS et le PCF : ça ne marcherait pas. C'est triste pour eux, mais aujourd'hui ils ont un effet repoussoir», analyse un proche de la direction écologiste qui ne souhaite pas «forcer les choses». Peut-être.
Solo écolo
Mais certains s'impatientent. Dans une tribune sur Libération.fr, plusieurs personnalités de gauche comme Guillaume Balas (Génération·s), Marie Desplechin (écrivaine), Robert Guédiguian (réalisateur) ou Noël Mamère interpellent les Verts : «La préparation des municipales peut être l'occasion d'inverser le cours des choses. Il faudra rassembler dès le premier tour le camp écologiste et social.» Les plus vexés de la stratégie solo écolo replongent dans le passé. Ils rappellent le score de Daniel Cohn-Bendit aux européennes de 2009 (16,28 %) et la dégringolade d'EE-LV dans la foulée. Une élection ne fait pas le printemps. Les concernés, eux, jurent que les choses ont changé, que demain la France sera toute verte et que Yannick Jadot aura une couronne sur la tête.