Ces dernières années, on a souvent croisé le chemin de Stéphane Pocrain. A chaque fois, une certaine routine, voire une chorégraphie, s'installe : autour d'un verre d'orange pressée, l'écologiste raconte des histoires. Pas les siennes, celles des autres. Le quadragénaire tente de mettre en musique certains destins politiques. Dans le jargon, on appelle ça un spin doctor. Stéphane Pocrain a collaboré, plus ou moins longuement, avec Eva Joly, Noël Mamère et Cécile Duflot. Récemment, il a participé au succès de la liste EE-LV aux européennes. Proche des gratte-papiers et loin des flashs. L'idée d'un portrait, afin de retracer son parcours, remonte à quelques mois. Des refus à chaque fois. Vendredi 24 mai : la campagne touche à sa fin, les sondages frémissent et Pocrain, qui fait partie des théoriciens de l'écologie indépendante, envoie un SMS en pleine nuit : «Je crois que je suis partant pour le papier sur moi.» On le retrouve quelques jours après le succès dans les urnes chez Mon Coco, un café place de la République, à Paris.
Casquette vissée sur la tête, il pose son gros sac à dos près de lui, commande une orange pressée et raconte son histoire à lui. L'homme de l'ombre a connu la lumière bien avant ceux qu'il conseille aujourd'hui. Plus jeune, il parlait sans se cacher : figure du mouvement lycéen au début des années 90, porte-parole des écologistes, chroniqueur télé chez Ruquier… une ascension à grande vitesse. Le banlieusard devient hype à Paris et son ego est à la hauteur des plus ambitieux. En 2007, il se lance dans la course présidentielle avant de se retirer au profit de Ségolène Royal : «Je n'ai pas réussi à me frayer un chemin dans cette campagne extrêmement dure», a-t-il dit en déposant les armes.
Vieux monde. Au sein des écologistes, le conseiller politique a toujours eu des rapports compliqués. La faute à ses débuts. On imagine un jeune Noir de l'Essonne, 25 ans à peine et sûr de ses forces, qui se pointe dans le vieux monde qui n'aime pas être bousculé. Il est directement dans le viseur de nombreuses figures vertes. Le jeune Pocrain clive. Mais après l'ascension, la chute est brutale. Janvier 2008, il est condamné à deux mois de prison avec sursis pour «violences conjugales». Onze ans après cet épisode, on pose le sujet sur la table. Pas facile de faire parler le bavard de sa condamnation. Il dit seulement : «Mon silence n'est pas aveu, j'ai préféré protéger mes enfants en n'ajoutant pas le bruit à la fureur.»
Le fil est rompu, pendant quatre ans : «Je ne me suis jamais fait d'illusion sur le monde politique, heureusement pour moi, ma famille était présente, mes vrais amis aussi.» Son téléphone sonne à nouveau en 2012. Stéphane Pocrain conseille la candidate verte à l'Elysée, Eva Joly. «Je pensais rencontrer une femme intransigeante humainement, je suis tombé sur une femme d'une liberté d'esprit incroyable. Elle n'était pas faite pour conquérir le pouvoir mais pour l'exercer», souffle-t-il aujourd'hui. Le spin doctor écrit aussi les discours : «Il faut trouver le tempo, le bon rythme, c'est comme de la musique.» Le début de sa nouvelle vie. Il fuit la lumière mais en politique, le passé dure longtemps. Ses ennemis d'hier rôdent toujours malgré les années qui défilent. «L'intelligence ne fait pas tout. C'est une bonne chose pour l'écologie qu'il ne soit plus sur le devant de la scène», balance un dirigeant écologiste.
Stéphane Pocrain ne semble plus touché par les flèches. «Je veux aider, être l'un des architectes de la force qui propulse l'écologie» , dit-il en se projetant. Comme tous les Verts, il mise sur la jeunesse pour renverser la table. On le revoit en février dans les rues de Paris, tout sourire, près de l'icône suédoise Greta Thunberg. Le mot «transmission» revient souvent dans la discussion. Le Guadeloupéen est sans cesse à la recherche de nouvelles têtes. Actuellement, il tente de faire émerger au plus haut niveau Marie Toussaint, toute nouvelle députée européenne et meneuse de la pétition, qui bat tous les records avec plus de 2 millions de signatures, l'Affaire du siècle, qui vise à poursuivre l'Etat en justice pour son inaction contre le réchauffement et ses conséquences.
«Transcendance». Stéphane Pocrain, qui termine souvent ses phrases par «mec», enchaîne les blagues, même sur des sujets très graves, et analyse chaque parole de son interlocuteur. Parfois, on a du mal à savoir ce qu'il pense. L'écologiste fait moins le malin au moment d'évoquer les siens. Sa faille. Les yeux rougis, au sujet de ses trois enfants, il dit : «J'aimerais qu'ils soient engagés, qu'ils aient un rapport à la transcendance, qu'ils comprennent que des choses, comme la politique ou la religion par exemple, nous dépassent.» Il fait vite le lien avec ses parents, une institutrice et un économiste investis dans l'associatif. La voix lente : «Ce sont eux qui m'ont appris l'observation, le sens et l'amour des mots et surtout, à tenir bon sous la mitraille.»
L'heure tourne. Stéphane Pocrain doit déjeuner avec Julien Bayou afin de lui remonter le moral - il vient de perdre l'investiture EE-LV pour les municipales l'an prochain à Paris - et parler du futur : le spin doctor verrait bien l'actuel porte-parole du parti propulsé à la tête d'un Europe Ecologie-les Verts nouvelle formule. On lui propose un petit jeu avant de filer : dire un mot des verts qu'il a côtoyés de près. Yannick Jadot ? «Solide.» Cécile Duflot ? «Intuition politique.» Eva Joly ? «Courage.» Noël Mamère ? «Sens du moment et de la formule.»
Pour l'actuel secrétaire national de EE-LV, David Cormand, «Stéphane a une vision fine de l'écologie politique et il a de la mémoire, ça permet de faire comprendre à ceux qui pensent repartir de zéro à chaque campagne que nous sommes dans la continuité, que l'histoire écolo ne date pas d'hier.» David Cormand raconte aussi qu'en octobre, alors que les élections européennes étaient encore très loin des préoccupations, Stéphane Pocrain a pondu une note à destination de l'état-major écologiste afin de proposer une stratégie et fixer un objectif : atteindre trois millions de voix.